samedi 2 mai 2015

"Before Sunset, Sumatriptan, et une fin de crémaillère"

Ce dimanche 3 mai 2015, il pleut. C’est sûrement le moment idéal pour coucher sur le papier l’article plus important de ma vie.
Le moment de m’assoir sur le divan, de me mettre à nu, me livrer.

I. On ne s’en sort jamais tout seul…

Le jour de ma naissance, rien ne s’est déroulé comme prévu, et passé le cap de l’accouchement, je me retrouvais directement sur la table d’opération, étant atteint d’une malformation congénitale. Je n’ai pas vraiment de souvenir de cette période, seulement quelques bribes dans lesquelles je me vois allongé sur la table d’opération avec cette immense lampe blanche au plafond, et des médecins s’affairant tout autour de moi. 

Les trois premières années de ma vie se sont donc déroulées à l’hôpital, dans cet univers hospitalier froid et effrayant, loin d’un foyer disons-le, normal. Si la plus part des enfants hospitalisés n’en gardent pas trace à l’âge adulte, je me souviens assez précisément avoir tourné le dos à mes parents et me mettre en « boule » sur le coté, à chaque fois qu'ils quittaient ma chambre, une fois l’heure des visites dépassée. C’était-là, quelque part, l’amorce d’un traumatisme infantile en devenir.

Plus tard, à mon retour, au sein du foyer familial, mes parents, m’offriront une éducation dans laquelle l’affect et l’affection n’auront pas leur place, renforçant un peu plus ce syndrome d’abandon, amorcé plus tôt. Cette forme de maltraitance, si elle n’est pas physique, ancre chez les jeunes enfants, je l’apprendrai plus tard, tout un tas de mécanismes de défense perturbant le fonctionnement « du futur adulte abîmé ».

« La négligence », est un concept élastique et flou. À partir de quand pourrait-on dire qu’un enfant n’a t-il pas vu ses besoins affectifs, physiques, cognitifs et sociaux remplis ?

Durant toute cette enfance, mes parents ne manifesteront strictement aucune marque d’attention, ni d’affection à mon égard. D’autant que je me souvienne, ils ne m’auront jamais pris ne serait-ce qu’une seule fois dans leurs bras, prêté attention à mon parcours scolaire, défini ne serait-ce qu’une seule règle, établi un lien affectif quelconque. Je n’ai jamais été encouragé, félicité, stimulé, ni témoigné d’aucune forme de reconnaissance que ce soit, encore moins valorisé. 

C'est ce que l'on pourrait définir dans le langage clinique moderne par « négligence affective ». 
Cette blessure émotive est socialement plus acceptable que la maltraitance affective, ou d’autres formes de « maltraitance infantiles » et son effet sur les enfants qui y sont confronté se manifeste différemment selon la vulnérabilité intrinsèque des enfants.

Je me souviens, avoir très tôt quitté physiquement cette cellule familiale bancale, recherchant  « dehors », ce que je ne pouvais trouver à l’intérieur de la maison. Chaque jour, à la sortie de l’école, j’expédiais mes devoirs, et filait à toute vitesse au parc, rejoindre un copain, pour jouer, traîner, imaginer un univers, m’imaginer explorateur, tentant de trouver un refuge ailleurs. 
« L’amitié » donc, depuis l’école primaire, jusqu’à aujourd'hui. Je n’ai cessé durant toutes ces années, de garder fidèlement quelques amis triés sur le volet, ne laissant la place à aucunes autres personnes.

Je comprends maintenant ce que met R.Sobel a mis en évidence, comme étant le concept d’élasticité : la capacité pour un individu de souffrir d’expériences traumatisantes sans les conséquences de maladies graves. Il a étudié un groupe de jeunes enfants qui avaient survécu au fait d’avoir grandi dans une famille traumatisante et avaient trouvé leur réponse dans leurs capacités à se détacher de la personne « psychotique »  et dans leur propension à nouer des relations qui soient satisfaisantes et gratifiantes. Il se sont émotionnellement détachés de leurs familles traumatiques et ils sont partis de la maison vers les voisins et les autres personnes qui devenaient des éléments critiques dans leur élasticité de leurs expériences critiques.

Les conséquences de la négligence affective, restent longtemps invisibles et inconscientes pour l’individu même qui en souffre. Mais je dois reconnaître que cela explique à ce jour, ce que je suis en grande partie. L’exigence envers autrui, la recherche de l’approbation, le balai incessant d’actes provocant, et le processus de retrait, cherchant à me protéger de souffrances affectives supplémentaires, « anesthésiant » mes émotions, devenant un être insensible, apathique, du moins en apparence.
La négligence affective a aussi d’autres conséquence, je m’en rend compte aujourd’hui, telles que la tristesse, une forme d’anxiété chronique, l’insécurité, une très faible tolérances aux frustrations, mais aussi une vision négative du monde, et dans des cas extrêmes, une volonté de mourir prématurément.

Les auteurs en psychiatrie, imaginent souvent pour ces enfants un triste futur,  devenant des adultes incapables de donner quoi que ce soit, comme insensibilisés. Pire, on associe souvent négligence infantile et délinquance, faisant le lien entre ces enfants dénués d’empathie, plus enclins à toutes sorte de brutalité. Mais c’est oublier l’autre concept fondamental, celui de résilience.

II. Indiana jones, Macgyver,  et Retour Vers le Futur

Nous en étions donc à l’enfance, l’école primaire, dans une banlieue défavorisée, et les copains. Je ne sais toujours pas pourquoi certains enfants sombrent, et pourquoi certains s’en sortent, comme une espèce de loterie psychique. Dans mon univers, dieu n’a jamais eu sa place, et au panthéon des idoles, je me suis construit un petit temple dans lequel Indiana Jones, MacGyver, ou encore maitre Yoda étaient les « patrons »  et avaient toute ma fascination, me servant de modèle, face à une figure paternel et maternelle inexistantes. 
Je me suis donc construit mon propre système de valeur, à tatillon, sans jamais n’avoir aucune limite, ni de support. 
Comment grandit-on dans cette configuration et quel sens revêt la vie, quand rien ni personne ne nous a dit ce pour quoi nous sommes là ? Je ne m’étais jamais posé de question avant l’adolescence, et cette période critique qu’est le lycée.
Et c’est ainsi, qu’animé par cette volonté de voir ailleurs, et de sortir de chez moi, que je postulais pour un établissement qui n’était pas dans ma ville. Mon dossier suffisamment bon, avait été accepté. En route, donc, pour cette nouvelle aventure au sein d'un lycée de banlieue huppé, avec toute l’inconnue que cela pouvait comporter. 
Du jour au lendemain, il me fallait prendre quotidiennement ce train de banlieue, pour quitter les murs de la cité, et débarquer dans cette ville dominée par une bourgeoisie bien établie.

- Premier jour de rentrée :  30 minutes de retard

Comment ne pas oublier, cette volonté inconsciente de mise en danger ? Il fallait que j’arrive en retard pour exister, pour être vu, reconnu, dans cet affreux pull orange, clinquant. Qu’importe! Moi, le petit banlieusard sans histoire, ni connaissances, ni argent, devait frapper un grand coup, le jour de cette rentrée, et rétrospectivement, c’était plutôt réussi…
Cette mise en scène théâtrale, n’avait pour pour but, rétrospectivement, que la recherche d’alliés, comme un pêcheur qui jetterait un filet espérant trouver quelques poissons dans ces filets. Les jours et les mois suivant me permettaient de trouver rapidement ma tribu, et ce qui allait constituer « le reste ».
Dans cette dichotomie psychique, la demie mesure n’existe pas. Il y a votre monde, et le reste du monde, comme une espèce de combat acharné. Le bahut était cet endroit mortellement chiant, comme l’avait été l’école primaire, une forme de milieu carcéral, détestable pour un jeune esprit libre, affûté, mais aussi l’endroit où l’on expérimente la vie, un peu comme dans le cercle de poètes disparus . Ce fut l’époque des premières fois.

Premiers joints, premières fois dans les bras d’une fille, premières embrouilles avec la police, premiers voyages hors de la France, premiers renvois d’un établissement pour atteinte à l’autorité, premières remises en question existentielles, premiers questionnements philosophiques après avoir lu le monde de sophie, premières pensées suicidaires, premières envie de changer le monde, etc…

Période charnière où le processus de construction identitaire se heurte à l’absolu de l’univers, son absurdité et sa beauté. Que faire, quoi faire de sa vie, lorsque tout nous semble possible,  à la fois si proche et si éloigné ? 
Concept d’élasticité, disais-je un peu plus haut, je trouvais effectivement refuge ailleurs que chez moi, mes parents, plus absents que jamais. Je trouvais au lycée, quelques fidèles amis, qui sont d’ailleurs toujours dans ma vie. C’est aussi à ce moment précis que le goût d’écrire m’est venu, avec la parution d’un premier article polémique - déjà - dans le journal du lycée. Cette tribune, m’avait permis de dépeindre de façon assez caricaturale la sociologie des élèves, avec comme résultat un succès éditorial - la version papier étant sold out -, et un tollé général, quelques groupes d’élèves s’étant sentis directement visés. Des parents d’élèves avaient appelé le proviseur, ma tête avait été mise à prix, et des mecs m’attendaient à la sortie du lycée pour me « casser la gueule ». Qu’importe, j’étais vivant et mes amis étaient là.  Avais-je peur de tout ce remous autour de moi ? Je ne m’en souviens plus trop.

J’avais déjà la tête ailleurs, les amis ne font pas tout. Et mes questionnements intérieurs ne trouvaient pas de réponse, mon esprit n’était suffisamment pas stimulé, j’attendais l’université avec impatience, comme un leurre, fantasmant un ailleurs qui serait à la hauteur des enjeux que je nourrissais. Quant aux filles que j’avais rencontrées, j’avais la lucidité de comprendre que ce n’était pas de l’amour, tout au plus l’expression de besoin physiologiques internes, naissant.
Le lycée laissait donc place à l’université après un baccalauréat assuré au ras des pâquerettes sans qu’aucun efforts ne fut consenti, si ce n’est le léger stress d’un rattrapage, malencontreux, victime d’une autosuffisance et d’un manque de discernement évident.

En quittant le lycée, j’emportais donc tous mes rêves, espérant un renouveau et une nourriture intellectuelle adéquat, m’inscrivant en médecine, la chose étant la plus en adéquation avec mon identité et mes goûts. Le sabre laser de maitre Yoda, le couteau suisse de macgyver, et les pyramides d’India Jones avaient vécu, en lieu et place, je visais maintenant un idéal humaniste, scientifique. 
Le microscope, le scalpel, l’empathie m’attiraient quand bien même je ne savais pas ce « qu’être là », pour quelqu’un, voulait dire. Mais le personnage de John Carter dans la série Urgence m’avait interpellé, et je ressentais en moi cette volonté d’aider les gens, sans trop savoir pourquoi.

Animé par les mêmes qualités et défauts, je faisais rapidement au bout de quelques semaines, le tri parmi mes connaissances et ne rencontrait malheureusement personne de très intéressant. La faute peut-être à ce concours de première année qui me dépassait. Néanmoins, de façon innée, j’attirais les gens autour de moi, et rapidement, je finissais par connaître « tout l’amphithéâtre », que ce soit les anciens, comme les nouveaux. Dans la grande tradition médicale, les étudiants désignaient toujours en début d’année, deux étudiants qui allaient devenir les mascottes de la promotion, au travers un jeu d’élections potaches, entrecoupées de danses  légèrement dénudées. Sans jamais être ce que je ne suis pas, j’avais décidé d’innover en jouant un morceau à la guitare, devant tout l’auditoire, quand bien même je n’étais pas un chanteur. 

Rétrospectivement, je me dis que dieu m’avait sauvé du ridicule, en déclenchant une panne dans la sono ce jour là, m’empêchant de démarrer le morceau. Mais qu’importe, j’étais sur cette scène, guitare à la main, devant des centaines de personnes, prêt à jouer je ne sais quoi. De la même façon que j’avais été seul, contre tous, le jour de cette fameuse rentrée de classe, en seconde.

Et de façon ironique, ce n’est pas monsieur muscle à ma droite qui fut élu, ni même monsieur « beaugoss » à ma gauche, mais moi, ce mec lambda, magnétique peut être, qu’on acclamait, dans le grand hall de cette université. Je devenais donc ce mec populaire, que tout le monde connaissait, tout en restant moi-même. Je ne courrais pas de soirée en soirée, de fille en fille. J’allais à la bibliothèque comme tout le monde, sans trop comprendre le rapport entre ce que je devais étudier dans un processus de sélection arbitraire fondé sur les mathématiques, et ma volonté d’aider les gens. J’étais encore profondément immature à ce moment là, sans le savoir, en compétition avec des bêtes de courses, n'ayant intrinsèquement aucune chance. Après deux ans à bachoter de façon idiote, sans comprendre ce qu'il pouvait bien se tramer sous mon nez, et la tête trop dans le « guidon » pour me remettre en question ; je me retrouvais à faire partie des « récus-collés »

III. Quand un échec n’est pas un échec

Durant toute cette période, je n’avais reçu aucun soutien. Mes parents, comme mes amis, n’avaient pas idée de ce que je pouvais bien faire de mes journées, ni les échéances auxquelles je me préparais. J’étais seul dans cette bulle temporelle et spaciale. J’avais beau connaître "physiquement" tout le monde, je ne connaissais en réalité personne, sans jamais être dupe de la situation. 
Le jour des résultats, je rentrais chez moi, et m’allongeais sur mon lit, me demandant ce que j’allais bien devenir. Avec une moyenne générale de 11,5/20, j’avais des résultats corrects, mais insuffisant pour passer en deuxième année.

IV. Hop, du balais, dehors, terminé bonsoir.

Je n’étais pourtant pas vraiment triste, ni même effondré, la biographie passionnante de Georges Charpak, m’ayant aidé à relativiser, à ce moment là. Mais la vie devait continuer, et il me fallait impérativement trouver une autre porte de sortie. La vie à cette époque, correspondait surtout à trouver un chemin, plutôt que la contemplation des besoins, et des idéaux. La pression sociale étant trop forte pour s’arrêter, il me fallait rebondir, tout de suite. Il est difficile de se remémorer en quelques instants mes pensées à ce moment là. Mais j’étais dans la quête d’un sens, et la découverte du monde. C’est aussi durant cet été, après les examens, que je m’envolais pour l’île de la Réunion, seul, avec mon sac à dos, programmant la visite des cirques et l’exploration de l’île. L’Indiana Jones qui sommeillait en moi n’était pas encore tout à fait mort. Après un job d’été vite expédié, je prévoyais donc cette grande marche traversant successivement les trois cirques jusqu’à la pointe sud de l’île, et où, l’on pouvait trouver ce majestueux volcan. Il est rare j’imagine, de faire seul à 18 ans, un tel voyage. C’était probablement ma façon à moi de me remettre de ce concours raté. 

-Avancer, comme toujours.

La veille, de mon départ, je logeais dans cette auberge de jeunesse, et rencontrais par hasard cette femme, appelons-là julie, qui après avoir passé la soirée à discuter autour d’un verre, me demandait si elle pouvait m’accompagner dans mon périple. Elle devait m’avoir trouvé un « truc particulier », pour se décider si soudainement. En tout cas, le lendemain, nous allions lui acheter un sac à dos, et je me retrouvais en pleine montagne, sous la tente, à des milliers de kilomètre, avec elle, à mes cotés.
Elle pensait que je devais avoir vingt-cinq ans, je n’en avais en réalité que dix huit, et elle, trente-deux. Qu’importe, les voyages ont ce pouvoir, de se laisser aller un peu plus facilement. Nous avons donc passé une semaine à marcher, ce devait être là, quelque part, et d'autant que je me souvienne, ma première relation « adulte » avec une femme, à parler, échanger. Au moment de nous dire au revoir à l’aéroport, elle était amoureuse, et s’attendait à me revoir au moment du vernissage de son exposition, car elle était photographe. Invitation à laquelle je ne répondit jamais. 
Cette première histoire ne sera en réalité qu’une longue série de rencontres se soldant à chaque fois par une fin chaotique, toutes ces femmes se rendant compte à quel point elles pouvaient se heurter à un mur.
Derrière le charme, le rire, le regard, et les mots. Toutes, et je le voyais bien, se voyaient confrontées à un être impénétrable, sans jamais savoir trop pourquoi. Aucune n’ayant jamais pu percevoir qui j’étais vraiment. Comment auraient-elles pu ? 


- Et maintenant, que faire ?  

A mon retour, je commençais à balayer toutes les options, et me projeter dans des univers complètement différents, mais j’étais terrifié, tétanisé. Et rien, ni personne, n’allait m’aider à répondre à cette question. Que faire ? Quoi faire ? 
Après des heures et des nuits, des insomnies folles, je m’embarquais dans un autre concours, non par dépit, mais plutôt comme une suite logique, la moins « pire », la moins folle, la « moins risquée ».

Je devais avoir la vingtaine, première année à la faculté de pharmacie, mais avec une vision beaucoup plus noire, « mature ». Pas d’élection de « Miss, Mister » cette fois-ci. En ce jour de rentrée, je me mettais cette fois haut, perché, tout au fond de l’amphithéâtre. Même à cet endroit, je ne pouvais m’empêcher d’engager la conversation, et de tendre une main autour de moi. Reproduisant encore et toujours le même schéma, je constituais un petit noyau dur autour de moi, et me mettait le reste du groupe à dos, soit environ huit cent personnes. Nous avions au sein de ce petit groupe à peu près le même parcours universitaire jusqu’à présent, venant des quelques universités de médecine aux alentours. Pas tant des parias, ni des rébus, nous considérant plus comme des petites d’or, égarées, assez confiant dans nos capacités et notre avenir. 
Mais penchons-nous plutôt sur mes activités en dehors de l’université durant cette période.

- 16h34 , j’écris sans interruption depuis quatre heure, il me faut une pause

Durant mes études de pharmacie, je me faisais chier comme un rat crevé. C’est à ce moment là que j’ai pu lire, beaucoup ; réfléchir et expérimenter la vie. Plutôt que d’aller en cours, je travaillais à coté, économisant le maximum pour me payer des voyages. J’en ai donc profité pour en faire un gros, durant chaque été. Destination, l'Indonésie, la Thaïlande, les Philippines, l'Europe, etc… Je partais seul, à chaque fois, avec pour seul compagnon mon Ipod, et mon sac à dos. J’ai pu rencontrer des gens fabuleux, voir des endroits magnifiques, et me dire à chaque fois que la vie valait vraiment la peine d’être vécue. Lors de mon voyage sur l’île de la Réunion, j’avais effectué un baptême de plongée-sous marine, et me souviens avoir été très à l’aise sous l’eau. Je n’avais jamais ressenti cela auparavant de toute ma vie. Je me souviens assez précisément avoir été frappé par la beauté du monde sous-marin, cet univers si riche, complexe, débordant de vie, de couleurs. Cette légèreté, comme si j’étais catapulté dans un autre monde, silencieux, calme, transcendant. 
A la fin de ce baptême, le moniteur me dit : 

Je vois que tu t’es plu, là dessous, tu finiras peut-être instructeur, qui sait ! 

Et, chaque été durant, je n’ai eu de cesse que de retourner plonger partout, où j’en avais l’occasion, passant tous les niveaux les uns après les autres, jusqu’à devenir effectivement Divemaster - niveau permettant l’encadrement en plongée-.



 Plongée sur la barrière de corail, Australie, 2013


Que de chemin parcouru depuis cette phrase, prononcée il y a si longtemps, prophétique. De la première année de pharmacie jusqu’à ma thèse universitaire, je passais donc mon temps à explorer le monde, et les fonds sous marins, loin de cette France où je m’ennuyais tant. La fin de l’été était synonyme de retour au bagne, à coté des étudiants parisiens complètement auto-centrés. Si le calme, et le coté contemplatif de la plongée m’étaient bénéfiques, j’avais aussi un besoin essentiel de me sentir vivant.
Complètement anesthésié par ce quotidien trop pressant, les vacances d’été étant à chaque fois trop lointaines.
Je tombais un jour, par hasard, en deuxième année, sur une association proposant de s’essayer à la chute libre. Après avoir suivi une longue formation théorique, et pratique, je faisais mon premier saut, en solo, quelque part dans le nord de la France. Pour le coup, je n’avais jamais eu autant d’adrénaline de toute ma vie. Assis, à la porte de cette avion, le vent, l’odeur du kérosène dans le nez, le vide sous les pieds, je ressentais cette boule dans le ventre, cette peur indescriptible, et finissais par m’élancer. 
On n’oublie jamais le premier saut, surtout lorsque celui se passe mal, et que votre voile part en torche, vous obligeant après quelques secondes de lutte, à larguer la voile défectueuse, pour ouvrir la voile de secours. On oublie jamais, ces quelques fractions de seconde, où l’on se demande ce qu’il pourrait advenir si celle-ci ne venait pas à s’ouvrir.
Mais elle s’ouvrit correctement, et je finissais mon saut tranquillement. Après cette belle frayeur, pâle et groggy, je recommençais aussitôt le lendemain, et les week-end suivant. Finissant par totaliser plus de deux cents sauts, et embrayant sur les brevets nécessaires pour sauter à plusieurs, avec les copains.
La chute libre était pour moi, cette soupape de décompression le week-end pour ne pas sombrer dans la dépression, la dogue où que sais-je. Ces quelques soixante secondes de chute, me rappelaient toujours à quel point j’étais vivant, et plein de vie, capable de tout faire. C’était un shoot d’adrénaline, comme un rat qui dans une cage, demanderait sa dose de cocaïne journalière afin d'oublier son quotidien mortifère.


    VR4, quelque part dans le nord de la France.


Plongée sous-marine et chute libre furent mes subterfuges pour oublier un quotidien intellectuellement traumatisant. Mes relations sans lendemain avec les femmes ne pouvaient me donner satisfaction, aucune ne trouvant la clé pour ouvrir mon âme. Aussi, j’insultais ouvertement les professeur auto proclamés, prenant parfois la parole dans l’amphithéâtre, passant pour je ne sais quel arrogant au yeux des autres étudiants. Je rêvais de pouvoir bouger cette institution tout en sachant que cela était vain.
Travaillant à coté, je savais pertinemment ce qui m’attendait à l’officine, comme luttant de façon ironique, pour un diplôme qui me rendrait encore plus mal.
Chaque nuit, j’enchainais les insomnies, et m'enfilais des doses massives de zolpidem pour oublier quelques heures, cette incongruité que me semblait être la vie. Je n’avais pas envie de mourir, juste une envie de profonde de changer les choses, de trouver une solution, comme un animal sauvage en cage, qui tournerait en rond et gratterait le mur de toute ses forces à la recherche d’une solution.
En même temps, j’enchainais les job étudiants dans les officines parisiennes, me faisant virer tout autant de fois, incapable de garder ma langue dans ma poche, envers des employeurs que me méprisais, à juste titre, comme étant les détenteurs du capital  et donc d’une forme d’autorité que trouvais profondément illégitime.

Ma froideur et mon insensibilité envers ce monde grandissaient année après année, et paradoxalement mon empathie avec. Ce n’est pas tant que je devenais un robot, un être insensible, mais mes priorités étaient de plus en plus précises. A bout, je décidais de changer de job étudiant, et postulais pour un remplacement dans l’éducation nationale, devenant ainsi professeur de mathématiques pour une classe de seconde, au lycée. J’essayais de changer les choses à ma manière et d’offrir une pédagogie alternative. Mes élèves - en difficultés pour la plupart - avaient du mal, trop habitués à une façon de faire, paternaliste, et autoritaire, mais redécouvraient néanmoins le plaisir de se poser des questions, et préféraient cette approche déductive. Enfin arriva la soutenance de ma thèse universitaire, avec une véritable contribution à la recherche en santé publique, et le sentiment du travail bien fait. Je quittais donc l’université par la grande porte, adoubé, décoré, affublé d’un titre de docteur en pharmacie.

- Étais-je heureux ? soulagé ? fier ?  

Quand je voyais mes camarades inviter toute la smala à la soutenance de leur thèse, je riais, choqué par cette farce. Le jour de la remise des diplômes, la plupart avaient invité leurs parents, grands-parents, j’en passe, et l’on pouvait deviner la fierté dans leurs yeux, quand je voyais du trouble dans les miens, complètement anesthésié, meurtri par ces sept années, passées sur les bancs de la fac. Complètement débraillé le jour de la céréomonie, je voulais choquer, me distancier, ne surtout pas être comme « eux ». De quoi étaient-ils si fiers ? 
La vraie vie était pour moi ailleurs. Je pensais au monde, à ce que j’avais vu.

IV. Le monde du travail et «elle »

Mes parents n’ont même pas su le jour où j’ai été diplômé, n’ont même jamais su en quelle année j'étais, à vrai dire. Après toutes ces années, j’avais gardé les mêmes amis, fidèles devant l’éternel. Nous avions tous évolué de la même façon. Mais nous devions maintenant travailler, et subvenir à nos besoins, à bientôt presque 30 ans.

Avec le travail, je voyageais moins, et commençais à rentrer dans le moule, lentement. Mais on ne triche pas aussi facilement avec son cerveau. Il ne se passait pas un jour au début, sans que je n’aille au travail la boule au ventre, témoins de ma propre déchéance, et de mon potentiel gâché. J’étais littéralement en train de mourir à petit feu, sans avoir le courage de changer quoi que ce soit.
Si mes amis étaient témoins de mes états d’âme, de mon regard lucide sur les problèmes que je décrivais, personne ne pouvait faire quoi que ce soi pour moi.

C’est un peu à cette période que je démarrais l’écriture de ce blog. Témoigner, écrire, m’ont soulagé un temps, mais mes angoisses profondes ont ressurgi sans que je puisse y faire quoi que ce soit. N’ayant plus le temps de plonger, ni de faire de la chute libre, je me jetais à corps perdu dans le tennis. Cela a fonctionné un temps, disons-le, un an, avant que mon anxiété ne crève le plafond. Et l’éternel question finissais par ressurgir : que faire de ma vie , quel sens lui donner ? 
Je vivais encore dans ma chambre d’adolescent, comme une ombre, ne faisant que passer, dîner et dormir au domicile parental, ma vie étant comme en suspend.

Et, même pendant les vacances, octroyées dans le cadre du travail, au beau milieu de la barrière de corail, je ne trouvais plus cette paix de l’âme que je recherche depuis toujours. Comment pouvais-je profiter de ce lieu, tout en sachant ce qui devait m’attendre au retour ? J’étais bien trop lucide sur ma propre situation pour détendre, et tout oublier. Cela aurait été profondément hypocrite.

A mon retour d’Australie, ce quotidien si pesant reprenait instantanément, me plongeant dans l’angoisse la plus totale, sans que personne ne sache ce que j’étais en train de vivre. J’avais beau être dans le mal être le plus total, je n’arrivais pas à trouver la force pour changer de vie, souffrant d’un manque total de confiance en moi, quand bien même j’avais réalisé tant de choses, et m’était rebellé tant de fois.
C’est quelques mois après mon retour, assis sur cette chaise, que je l’ai rencontrée, transformant ma vie à jamais. Mais ne revenons pas sur cet instant, je l’ai déjà décrit.

V. Une crémaillère sans elle …

Voila le garçon qu’elle venait de rencontrer, autant dire une épave. Elle s’intéressera malgré tout à moi. Et c’est dans ce contexte, que démarrait notre fabuleuse histoire. Je ne savais pas grand chose d’elle, si ce n’est qu’elle habitait en province, et qu’elle s’était récemment installée dans la région, avec son enfant en bas âge. Elle venait parfois me voir à la pharmacie, avec ce petit être que je trouvais fascinant, moi qui était pourtant si détaché d’habitude, et avait du mal avec les autres enfants. 
Au travers elle, je me voyais parfois, comme un miroir, sa façon d’etre si distante, froide, distanciée, comme si il fallait garder impérativement cette frontière avec les inconnus. Je n’avais jamais pris autant de précaution avant de rencontrer quelqu’un, ne m’étais jamais autant posé de questions.

Après les premières rencontres, sa retenue, laissait place à une forme de spontanéité, comme si elle et moi, laissions nos armures de cotés, blessés par la vie, pour nous oublier enfin, dans les bras l’un de l’autre. 
Je comprenais rapidement que c’était une femme fragile. Blessée par la vie, dans son corps, sa chair, son être. Elle devinait cette même fragilité à mon égard. Mais nous ne semblions pas vouloir nous laisser emporter par nos blessures, et voulions donner une chance à la vie. Nous passions donc beaucoup de temps, ensemble, au téléphone, chez elle, dehors, dès que l’occasion nous était donnée. Elle était évidemment méfiante pour son enfant, ne voulant pas laisser n’importe qui rentrer dans sa vie, mais rapidement, nous formions une nouvelle petite famille, fragile certes, mais quand je cuisinais le soir, après le travail, pour ces deux-là, et qu’elles étaient à mes cotés, nous étions réellement une famille, je crois.

C’était complètement nouveaux pour moi, et étrangement, je n’avais pas peur. Pour la première fois de toute ma vie, je ne calculais pas, ne prévoyais rien, bien ancré dans le présent. Je ne voulais être nul part ailleurs. Les jours filaient à toute vitesse, et même le travail me semblait absolument léger. Ce n’était pas tant que j’avais trouvé un sens à ma vie, mais j’étais heureux de vivre, comme si mes problèmes existentiels, trouveraient une réponse, après. Cette période dura quelques mois.
Mais si nous filions le parfait amour, je savais qu’elle était fragile, et qu’il y avait aussi en elle, quelque en chose, qu’il nous faudrait affronter. 
Au fur et mesure que j’apprenais à là connaître, je me rendais compte qu’elle avait de son coté d’énormes blessures non cicatrisées, et qu’il me faudrait l’aider à mon tour. 

L’apprentissage de l’amour prenait une autre dimension à laquelle je n’étais absolument pas préparé. Il me fallait apprendre à être là pour quelqu’un, à exprimer mes envies, mes désirs, nos désaccords. Il me fallait affronter mes peurs, mes angoisses les plus profondes si je voulais avancer avec elle. Et bien évidemment mon premier réflexe fut la fuite devant la première des difficultés.
Il ne pouvait pas en être autrement, comment un "loup" pouvait-il être apprivoisé si facilement ? Face à cette incompréhension, à la peur, au doute, et ne sachant pas communiquer, je la quittais plusieurs fois, même si le mot ne veut rien dire, tant il a été vidé de sa substance. 
Je ne comprenais pas pourquoi notre histoire tournait au vinaigre, alors même que j’étais persuadé que c’était la femme de ma vie. Jour après jour, inexorablement au fur et à mesure que nous nous livrions, nos disputes et nos séparations devenaient de plus en plus violentes, comme si les secrets révélés éclataient au visage de l’autre, comme autant d’obstacle qui me semblaient insurmontables.

Je me lançais dans notre relation à corps perdu, mais me heurtais à un mur de la même façon qu’elle devait l’être. Je ne comprenais pas pourquoi, des photos de son ex-conjoint étaient encore accrochées sur le mur, ne comprenais pas pourquoi elle avait ce besoin compulsif de lui parler chaque jour, ne comprenais pas non plus pourquoi, il lui fallait parler à ses parents, à ses ses ex' aussi souvent, alors que de mon coté, je n’en avais aucun besoin. Je savais que quelque chose clochait, sans savoir lui dire comment.
Elle me parlait souvent de son passé, son enfance, comme autant de réminiscences toujours présentes. C’était à mon sens plus que de la nostalgie .J’étais complètement perdu par cette façon qu’elle avait de me parler constamment du passé, de ses amis d’enfance. Elle était comme scotché dans un autre temps. Attachée à son grand-père, comme étant la seule personne à n'avoir jamais pris soin d'elle, ce qui avait été le cas.

Mais j’étais tellement amoureux d’elle, qu’il m’était impossible de lui dire quoi que ce soit.

Arriva ce qu’il arriva, je finissais par là quitter, non pas de façon froide, glaciale ou immature, lui expliquant simplement que je n’y arrivais pas. Je là quittais parce que je n’arrivais plus à lui donner ce dont elle semblait avoir besoin. J’avais l’impression de ne pas lui offrir suffisamment d’affection. Ces moments-là me brisaient le coeur, et me laissaient perdu.
Nous finissions toujours par nous appeler, et nos âmes se connectaient dans ces moments où l’on se dit tout, et où l’on finit par comprendre encore un peu plus l’autre. 
Si j’avais été victime de « négligences », je réalisais que de son coté, elle avait elle aussi subit des traumatismes tout aussi violents, avec un père qui n’aura eu de cesse que de la rabaisser, la maltraiter continuellement, n’ayant jamais offert à ses enfants autre chose que de la froideur, de la compétition, et du mépris, au motif de les rendre plus fort.
La rupture avec le père de son enfant, associée à cette éducation paternaliste, violente, auront laissé des traces que j’avais du mal à comprendre, et à saisir sur le moment, mais dont je savais au fond de moi, qu'ils n'étaient pas "elle".
Elle souffrait d’une représentation physique, et somatisée des traumatismes passés, et d’un syndrome de dépendance affective.

A ses cotés, je voyais qu’il cohabitait dans sa tête et son corps, deux personnes. Il y avait cette fille au fond qui voulait s’en sortir, découvrir le monde à mes cotés et faire le grand saut, et cette fille qui n’avait pas encore quitté le monde de l’enfance, effrayée.

J’avais du mal à comprendre, ce qu’il nous arrivait, je n’avais pas suffisamment de recul.


« Une personne dépendante affectivement, est profondément convaincue qu'elle ne peut exister qu'à travers le regard, l'amour ou l'approbation des autres. Elle est affligée par la pesante impression d'être sans substance en tant que personne et vit au quotidien dans la sourde angoisse d'être perçue par autrui comme n'ayant fondamentalement aucune valeur intrinsèque. Cette croyance négative sur elle même affecte profondément sa relation à autrui. 
La personne dépendante veut plaire à tout prix pour obtenir le regard d'approbation qu'elle croit lui faire tant défaut. Elle se transforme alors en un véritable caméléon, convaincue que c'est en devenant ce qu'elle s'imagine que les autres attendent d'elle qu'elle sera alors aimée. Elle tente d'être ce qu'elle n'est pas, en espérant devenir ce qu'elle croit que les autres souhaitent qu'elle soit ! Sans s'en rendre compte, elle se perd en chemin, en ne parvenant jamais à être elle même. 

Persuadé qu'il ne peut pas remplir ce trou béant qu'il perçoit en lui même, l'enfant - puis l'adolescent et plus tard l'adulte - va croire que seul autrui sera capable de le "remplir" affectivement, lui permettant ainsi de devenir un individu complet à part entière. C'est là l'erreur fondamentale car personne ne pourra jamais remplir ce trou émotionnel du passé ! La personne dépendante le croit pourtant et s'engage dans une quête perdue d'avance. Cette conviction va la conduire à inconsciemment rechercher coûte que coûte un (ou une) partenaire qui pourra compenser ces carences - très souvent son conjoint. 

De là, sans même s'en rendre compte, la personne dépendante met une pression gigantesque sur la relation de couple. Certes, elle semble extérieurement tout faire pour répondre aux moindres besoins ou demandes de son/sa partenaire, mais, en retour, elle attend que cette personne la fasse exister par son regard, ses marques d'appréciation, son attention constante à elle! C'est une sorte de "donnant-donnant" toxique qui régit alors la relation: la personne dépendante n'a pas conscience qu'elle attend un "retour sur investissement" pour son (apparente) abnégation envers son/sa partenaire. Cette demande très puissante n'est jamais exprimée (ou même perçue) comme telle mais elle fait peser sur la relation un poids considérable, sous l'apparence d'un beau lien d'amour.  

De façon très détournée, la personne dépendante tente de prendre le contrôle de la relation pour obtenir ce dont elle a besoin. Gare alors à l'autre partenaire s'il/elle n'est pas à la hauteur de ce qui est attendu ! La personne dépendante est furieuse et frustrée de ne pas se sentir suffisamment "remplie" par son/sa partenaire (elle va dire: "pas suffisamment aimée"). Elle va taxer son/sa partenaire d'ingratitude au regard de tout ce qu'elle lui donne. Elle est convaincue ne pas être reconnue dans l'amour qu'elle offre sans compter, mais ce n'est pas vraiment de l’amour : même si le mot est un peu fort, c'est une sorte de "toxicomanie affective" où elle "consomme" l'autre pour pouvoir exister et compenser ses carences du passé.  
Le/la partenaire n'est finalement qu'un instrument pour apaiser sa propre angoisse. La personne dépendante confond souvent "amour" et "besoin", alors que, derrière sa névrose et ses carences, il peut réellement exister un authentique et bel amour mais il est souvent écrasé sous la pesanteur des pressions névrotiques de la personne dépendante. 
La personne dépendante risque malheureusement d'arriver au résultat opposé à celui qu'elle recherche. Par la pression consciente et inconsciente qu'elle génère au sein de son couple, elle génère elle même ce qu'elle redoute le plus, à savoir l'abandon. En effet, plus elle "consomme" son/sa partenaire en pensant que c'est cela qui va apaiser son sentiment de vide intérieur, plus ce/cette partenaire va étouffer devant tant de demandes affectives incessantes jamais satisfaites. Il/elle va donc avoir tendance à prendre du recul parce qu'il/elle se sent envahi/e et dépassé/e par l'ampleur de la demande. 

Et plus le/la partenaire prend du recul, plus la personne dépendante panique ! Face à ce mouvement de retrait affectif, la personne dépendante prend peur car elle redoute d'être abandonnée: elle va donc encore plus intensifier sa demande affective, parallèlement à un oubli d'elle même encore plus marqué. Or, cette attitude est contre-productive. Plus la personne dépendante essaie de garder l'autre près d'elle, plus elle crée les conditions pour qu'on l'abandonne.  

Si son/sa partenaire la quitte effectivement (car la situation est devenue invivable), la personne dépendante est confortée dans sa conviction qu'elle est sans intérêt. Elle se remet alors aussitôt à la recherche d'une autre personne susceptible d'apaiser son douloureux sentiment intérieur... C'est la spirale de la névrose. 

Dans certains cas, notons également que le/la partenaire de la personne dépendante n'est pas toujours très clair dans son propre positionnement: il/elle peut en effet tirer des bénéfices secondaires de cette situation (là encore, de façon inconsciente). Il peut par exemple être très valorisant narcissiquement d'être autant "désiré", "adulé", "aimé" par une personne qui est prête à tout pour exaucer ses moindres souhaits. Être l'objet de tant d'attention peut, en retour, combler les (éventuelles) propres carences émotionnelles du/de la partenaire. On voit là un danger potentiel pour la personne dépendante et une possible impasse: il lui serait en effet bénéfique de gagner en indépendance par rapport à son/sa partenaire ; mais si ce dernier/cette dernière a besoin que son compagnon ou sa compagne soit dépendant(e) de lui/elle, il/elle ne va rien tenter pour l'aider à sortir de sa dynamique de dépendance. Bien au contraire, il/elle peut même inconsciemment tout faire pour rendre cette personne encore plus dépendante!  

Se reconnecter à soi-même pour découvrir sa propre valeur
Tout le comportement de la personne dépendante repose sur la croyance qu'elle est sans aucune assise intérieure. Il est difficile de s'extraire seul/e d'une croyance aussi profondément implantée en soi. De là, un travail psychothérapique est souvent nécessaire. 

Au cours de ce travail, la personne dépendante va être amenée à prendre conscience des schémas de fonctionnement névrotique qui la mène systématiquement à l'échec. Elle va découvrir et examiner les fondements de la croyance sous jacente qui entretient la dynamique de dépendance affective. Le thérapeute va progressivement l'aider à remettre en question le bien fondé et la pertinence de cette croyance erronée. C'est la partie la plus difficile du travail psychothérapique car la personne dépendante est intimement convaincue qu'elle n'a pas de valeur. Elle s'est construite autour de cette croyance et elle croit dur comme fer que ceci est sa véritable identité. Elle a donc énormément de mal à se dés-identifier -se "déscotcher"- de cette idée. C'est pourtant à cette seule condition qu'elle va commencer à se percevoir sous un autre jour. Le thérapeute va aussi l'aider à renoncer à chercher à l'extérieur - dans sa relation à autrui notamment - des réponses qui ne viendront jamais, tout en l'invitant à se tourner vers ses ressources intérieures qu'elle méconnaît. 

A partir de là, elle va pouvoir se réapproprier sa liberté à exister pour elle même, sans attendre systématiquement l'approbation d'autrui. Elle va apprendre à se reconnecter à elle même (sans chercher à être quelqu'un d'autre qu'elle même), à ses désirs, à ses besoins et à ses émotions et découvrir progressivement sa propre valeur, en cessant de croire que cela ne peut venir que de quelqu'un d'extérieur. Ce chemin est difficile mais, mené avec courage et détermination, il aboutit progressivement à un réel apaisement. » C.Faure, psychiatre


Je comprends maintenant pourquoi on en est arrivés là. Elle et moi avions nos démons depuis le début, et il nous faut apprendre à les combattre. J’ai commencé ce travail, et trouvé les ressources auprès d’elle pour prendre un appart, acheter une voiture, envisager un nouveau boulot. Je n’aurai jamais réussi sans « elle », je lui dois tout. De mon coté, je me sentais impuissant. Toujours animé d’un amour inconditionnel, je savais qu’il me fallait la quitter pour la laisser se reconstruire. Et j’ai l’impression que c’est la bonne chose à faire.

Peu après la rupture avec le père de son enfant, elle a rencontré quelqu’un, ce pourquoi elle avait acheté la pilule du lendemain, et ce grâce à quoi nous nous sommes rencontrés. Mais tout au long de la période pendant laquelle nous étions ensemble, elle n’a jamais coupé les ponts avec cet homme, par culpabilité et peur du regard qu’il pourrait lui porter. Elle ne vivait pas pour elle même.
Et depuis que nous sommes séparés, elle a rencontré quelqu’un d’autre, l’article expliquant très bien cela.

Ce qui nous amène à ma crémaillère. après avoir passé une semaine horrible, à ne plus savoir où j’étais, à toucher le fond, je me suis relevé et décidé qu’il était temps de changer, de re-vivre, et décidais donc d’organiser cette fête.

Et à 17h, à peine mon quart de final terminé - perdu 7-6, 6/3 - la tête complètement ailleurs, je recevais un message de son travail, m’expliquant qu’elle avait fait un malaise. Sans réfléchir un seul instant, je filais en direction de l’hôpital. Pendant que je conduisais, je chargeais donc un de mes acolytes d’accueillir tout le monde à ma place, et que je serai là dès que je pourrais.
La fête allait commencer sans moi, qu’importe.
     (Lendemain de crémaillère, avril 2015)


Arrivé à l’hôpital, je la découvrais allongée, clouée au lit à cause d’une crise migraineuse, sans précédent. Les mots étaient superflus, j’étais juste là, pour elle, espérant que le sumatripan fasse son effet. C’est tout ce qui comptait. Peu importe ce qu’il s’était passé entre nous, j’étais heureux de la voir, quand bien même, elle avait de nouveau quelqu’un dans sa vie, avec tout ce que cela pouvait impliquer. Pendant qu’elle se reposait, elle en profitait pour me raconter un peu son quotidien, ses projets du moment, les cartons de son futur déménagement, la nouvelle voiture qu’elle allait acheter, ces chaises qu’elle voulait mettre dans sa salle à manger.

Et puis son téléphone se mis à sonner de façon frénétique, la bulle temporelle avait éclaté. Son père voulait prendre des nouvelles, quand bien même il n’avait jamais été là pour elle étant petite, le père de son enfant voulait en faire de même, et pour finir, je voyais apparaître le nom de son nouveau mec, essayant d'appeler, lui aussi. J’étais si triste de voir que rien n’avait changé, où presque.
Mais nous nous sommes toujours tout dit, elle et moi. Elle s’empressait de me demander alors ce qui n’allait pas, voyant l’expression de mon visage changer.

- Comment voudrais-tu que j’aille bien lorsque j’imagine la seule femme que j’aime dans les bras d’un autre ? 

Elle me répondit : 

- Souviens-toi, nous avons tant essayé toi, et moi, et avons buté à chaque fois sur les mêmes problématiques….

Sauf qu’aujourd’hui je sais exactement pourquoi ça n’a pas marché, et que je sais comment cela pourrait marcher.
On ne sait jamais vraiment pourquoi l’on aime quelqu’un en particulier, et c’est précisément pour cela qu’on l’aime.
Peu importe ses blessures, et son histoire aussi douloureuse soit-elle, c’est elle que j'aime, c’est un constat, comme une évidence, mais si j’ai fait ce travail, je ne peux le faire à sa place. Lorsque l’on s’est séparés, je lui ai dit que c’était pour qu’elle se reconstruise, pour qu’elle laisse son passé de coté, son enfance derrière elle, qu’elle découvre son potentiel, ses envies, sa personnalité, qu’elle soit elle même et pas un fantôme du passé,  exactement ce qu’on retrouve dans l’article cité plus haut.
Je lui avait même proposé de l’accompagner en consultation et d’être là, à ses cotés, sans qu’elle ne me réponde quoi que soit, si ce n’est : pourquoi ne le fais-tu pas, toi aussi ? 

Au travers ces semaines où j’étais à terre, j’ai fait ce travail et tué mon passé, tout en l’acceptant sincèrement, honnêtement. Dans cette pièce à l’hôpital, je lui ai avoué mon amour inconditionnel ainsi que mon envie profonde de faire ma vie avec elle, maintenant c’est à elle d’affronter son passé, ses démons. Peut-être que ce seront ce magnétiseur imposteur ou encore ce nouveau mec qui l’aideront, je n’en sais rien, mais j’aurai été honnête et j’aurai fait tout mon possible. Maintenant ce n’est plus de mon ressort. Jamais je n’aurai laissé tous mes amis en plan comme je l’ai fait ce soir là, si ce n'est pour elle, aucun ne m’en voudra d’ailleurs, me rappelant cette scène du film good will huting dans laquelle will demande à sean, comment il avait été sur que c’était la bonne ?
Ce à quoi il répondit, le jour et l’heure, racontant l’avoir rencontrée quelques instant précédant un match de baseball, et l’ayant invitée à boire un verre, laissant ses amis aller assister, seuls, au match, tout en leur répondant : 

- Sorry guys, i got to go see about a girl. ( Sean mcGuire)

C’est ainsi, et c'est peut être là, la beauté de la vie, qu’il nous est possible, d’être à la fois pétri de peur comme Will, courageux comme Skylar, où encore déterminé comme Sean. Nous sommes en réalité, un petit peu, chacun de ces personnages selon les étapes de notre vie.

Et pour finir, si je citais Before Sunset dans le titre de ce billet, c’est qu’après ces instants de grâce que nous avons passés ensemble, nous nous sommes promis de nous retrouver un jour. Dans ce joli film, Jesse et celine se sont rencontrés par hasard à Vienne et ont passé une nuit ensemble dans rues désertes de la ville, passant une nuit inoubliable, dans l’insouciance la plus totale. En se séparant, quatorze heure plus tard, ils s’étaient promis de se revoir six mois après…

Aujourd’hui ils se retrouvent à Paris lors que Jesse est venu présenter son nouveau roman. Ils passent l'après-midi ensemble dans des cafés, des parcs et sur les quais de la Seine, retrouvant instantanément leur ancienne complicité. Comme lors de leur première rencontre, ils ont énormément de choses à se raconter, et quelques heures seulement, car Jesse doit reprendre l’avion….

La vie n’est pas un film, et personne ne saurait dire comment notre histoire se terminera.. Je n’en sais rien. Mais j’ai l’impression d’avoir ouvert mon coeur et dit tout ce que je pouvais dire, et faire tout ce que j’ai pu. 

Comme dirait Sean : 

La balle est dans son camp…

21h31, Fin





Before Sunset, de Richard Linklater, 2004







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