dimanche 14 juillet 2013

J-364 : pharmacircus

Aujourd'hui, j'avais un repas de famille. Un rendez-vous dominical avec papi, mamie et les parents. Forcément, mamie m'a félicité, parce qu'à ses yeux, l'université française reste et restera toujours un véritable monument.
"Bravo" mon petit-fils m'a-t-elle dit, toute fière, le coeur rempli de joie. A ce moment-là, j'avais le choix de me taire, comme on laisse un enfant croire gentiment au père noël ou de lui balancer les coulisses du cirque dans lequel j'avais travaillé 6 ans.

Ma mamie méritait bien la vérité. 

Dans un article du journal le monde daté du 30 avril 2008 (1), on pouvait apprendre que l'endogamie du monde académique n'avait jamais été quantifiée, et que "toutes universités et discipline confondues, les candidats locaux ont dix-huit fois plus de chances que les candidats extérieurs d'obtenir un poste", et que pour certaines universités, "ce facteur pouvait atteindre 50 voire 500 soulevant ainsi la question de la qualité de l'enseignement et de la recherche universitaire".

Pour rentrer au "pharmacircus", la mission est assez simple. Ingurgiter un maximum d'informations fondamentalement pas très compliquées, et les restituer dan le bon ordre, le jour de l'audition, un peu comme font les singes savants. Dans ma promo, il devait y avoir à peu près 200 places pour 800 inscrits. Ce n'était pas l'Everest, franchement chiant, mais faisable.

Une fois intégré la troupe, l'année débutait chaque fois par le même cérémonial. Découverte des matières, analyse des emplois du temps, réflexion sur les modules qu'on allait sécher, et enregistrement des dates s'agissant des représentations, à savoir, une session en hiver et une session en été. Les plus mauvais artistes - où pas - devaient obligatoirement se re-présenter à une troisième session, courant septembre.

J'ai beaucoup souffert dans la préparation des dits "numéros". J'avais rêvé d'un espace de créativité, d'expression libre, où mon corps et mon esprit auraient pu briller, du moins être stimulé, "challengés". Nous avons eu le droit, à la place,  à tout autre chose. Pharmacircus n'a pas vraiment évolué avec son temps. C'est un établissement qu'on qualifierait de "old school". Les spectateurs qui se sont fait floués lors d'un spectacle me parlent encore d'un numéro ringard : le médiatorus.

Numéro dont je me souviens très bien lorsqu'on travaillait sous le chapiteau en 2e année. Des heures durant, l'un des professeurs endogames, cooptés, nous demandait d'apprendre par coeur comment dessiner la représentation spatiale du médiatorus : c'est ce qu'on appelle la chimie thérapeutique, l'art de reproduire et d'apprendre par coeur le nom et le dessin de toutes les molécules thérapeutiques. A la pause on enchaînait souvent sur d'autres ateliers assez différents ou d'autres professeurs nous imposaient de comprendre les machines qui pouvaient détecter le médiatorus : la chimie analytique, ou l'art de mesurer, quantifier, analyser n'importe quelle substance à l'aide d'appareils barbares. Je me souviens encore cette chaleur sous les chapiteaux, les artistes impliqués, concentrés, en lutte avec un spectrographe de masse. 
Je me souviens aussi la façon dont on moquait les artistes qui aimaient lire la revue Prescrire, au titre que cela n'avait rien avoir avec le spectacle de décembre ou juin. Ce devait donc être inintéressant, hors-sujet, inutile. 

Effectivement, c'est un cirque, une bouffonnerie, une farce. Sauf que celle-ci aura causé la mort de milliers de personnes. C'est joli d'apprendre la chimie analytique, de gaver les étudiants de matières soporifiques déconnectées des réalités, d'apprendre ce qu'est un étalon interne, de savoir calculer un test du khi-2, de comprendre la pharmacologie du médiator sur tel ou tel récepteur, d'apprendre la législation afférente à la délivrance du dit médicament.
Beau d'offrir des heures de cours à des professeurs nombrilistes, cooptés, incompétents et déconnectés des réalités du monde sensible, de bâtir une architecture hypothétique d'enseignements soi-disant coordonnés ; sauf qu'à la fin du numéro, à côté des pop-corn jonchant le sol, on retrouve aujourd'hui des cadavres atteints de valvulopathies parce qu'en autre, les pharmaciens sortant tout droit de pharmacircus auront été mal formés - ce n'est pas de leur faute -, tristement incapables de savoir que le médicament avait une toxicité avérée et que sa balance bénéfice-risque ne justifiait aucune délivrance, la faute à une formation universitaire clairement bancale.

L'université trouvera toujours grâce aux yeux des français, attachés à un système universaliste, sans discrimination, ouvert à tout bachelier et gratuit. A 200 euros l'année on peut dire que c'est gratuit, oui.
Mais c'est en réalité une belle arnaque. D'une part le peuple qui finance - qu'il le veuille ou non - ces établissements, n'en tire aucun bénéfices puisque les diplômés qui en ressortent ne sont pas capables de bloquer les délivrances de médicaments à balance bénéfice-risque nulle. D'autre part, c'est même une double peine pour les citoyens qui auront financé les études des médecins ayant prescrit le mediator et des pharmaciens qui leur auront délivré les comprimés mortels. 
Endogamie peut-on lire dans l'article du journal Le monde. Vivons caché, vivons heureux ajouterai-je. La structure universitaire elle-même, pyramidale, est au courant, et semble s'accommoder de cette vérité à peine cachée, à savoir : que personne ne va en cours sauf lorsque cela est absolument obligatoire.
Sécher les cours n'a jamais été un idéal, encore moins un absolu, c'était une nécessité.
Pourquoi écouter un tocard payé "une blinde" à balancer un vieux disque rouillé, quand tout était écrit dans les livres. Je n'étais évidemment pas le seul à sécher les cours magistraux au vu du système de retranscription industrialisé qu'avaient mis en place les étudiants pour ne pas aller en cours.

Pour faire simple, le système consistait en début d'année à recueillir le listing des étudiants volontaires, et désireux d'adhérer à ce système de prise de note. Une fois acquitté les 60 euros, chaque étudiant recevait les cours dactylographiés et imprimés, préalablement retranscrits par un étudiant ayant assisté physiquement au cours, via un système de roulement très bien organisé.

Au total, j'ai fait mes 6 ans en assistant à seulement 10 % des cours. Je me déplaçais uniquement lorsqu'il y avait un bon professeur, entité qu'on pourra finalement compter sur les doigts d'une seule main. De bons livres auront fait le reste.

Triste France, sa capacité de révolte n'est pas morte, c'est simplement l'objet qu'on regrettera. Face à une jeunesse dans la rue - pas toute, fort heureusement - contre le mariage gay, simple célébration en retard d'un droit légitime attribué à deux être humains, on regretta finalement leur incapacité à reconnaître l'imposture universitaire qui leur est  servie chaque matin et dont la majorité semble s'accommoder.
Comme on dit au cirque : show must go on.






1. Recrutement des enseignants-chercheurs : la cooptation est mise en cause. lemonde.fr, 30.04.2008

http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/04/30/la-cooptation-des-universitaires-est-mise-en-cause_1040115_3224.html

3 commentaires:

  1. Bonjour,

    Je souhaiterais vous communiquer une info; voici mon mail:
    decidela75@laposte.net.

    Bonne soirée.

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  2. Bravo pour la qualité de l'article. A diffuser largement.

    Un universitaire non coopté, obligé de travaillé à l'étranger

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