dimanche 11 août 2013

J-356 : The wolf of wall street et le méthylphénidate.

Journée ordinaire en France. Des agriculteurs jettent des milliers d'oeufs pour protester contre un prix de revient trop bas, les ministres jouent à se tacler, tout en oubliant les missions qui leur incombent, on découvre aussi les 27 millions d'euros de la réserve parlementaire, distribués en toute opacité.

Une journée ordinaire dans le monde. Usain Bolt gagne la finale du 100 m des Championnats du monde de Moscou, alors même que le pays s'enfonce dans une forme d'homophobie d'Etat (1). Au Royaume-Uni, personne ne semble plus s'offusquer du "contrat zéro heure", laissant toute latitude à l'employeur pour décider des horaires de l'employé, alors que dans le même temps, l'appétit sensationnaliste des médias se déchaînaient en toute logique sur la jeune Kate Middleton. C'est aussi la reprise de la ligue 1, le Paris Saint-Germain et son transfert à 64 millions d'euros, le début de la PACES et son bal de prépas privés (2).

- "Dieu est mort", disait Nietzsche dans Le Gai Savoir, et devant l'effondrement de toute morale chrétienne, le capitalisme désormais, triomphe, écrasant toute la concurrence. Les élites parlent souvent de le "moraliser", comme ci l'entité pouvait se laisser apprivoiser, dompter. En réalité, celui-ci existe maintenant par lui-même, et pour lui même. Son appétit sans cesse renouvelé, dicte chaque jour un peu plus, la conduite des Etats, dont les dirigeants ne semblent être que des pantins.
De la même façon que les civilisations précolombiennes pratiquaient le sacrifice humain, notre civilisation hypothèque le bonheur de ses propres enfants afin assouvir l'appétit d'un monstre capitalistique qui n'a pas de visage. La peur qu'il incarne, peur du chômage, peur du vide, peur de la non substantialité matérielle, pousse les parents à transférer leurs propres angoisses à des enfants qui désormais somatisent très tôt. Les pédopsychiatres reçoivent parfois en consultation des élèves du primaire, avec à la clé une ordonnance de ritaline (méthylphénidate), lorsque ce ne sont pas des élèves de maternelle, expliquant au médecin avec leurs mots "qu'à l'école, il faut "cravailler", sinon on n'aura pas un bon métier" (3).

 Comment trouver un sens à son existence, quand chaque journée nous semble être un éternel recommencement, qui n'a de sens, que la perpétuation d'un système capitalistique hideux ?
Au départ, l'enfance rencontre l'ennui, ceci au travers un système scolaire français qui ne saura jamais rien offrir d'autres, qu'une autorité toute puissante et formatrice, éclatant au passage, toute forme d'idéation et les potentialités de chacun. Personne ne s'offusque, ni ne s'étonne lorsque les enfants déclarent s'ennuyer à l'école.
Les adultes trouvent même cela "normal", l'ayant vécu avant eux. Ken Robinson dans son exposé "changing education paradigms", décrit magnifiquement les effets catastrophiques d'un tel système éducatif sur la jeunesse d'une nation. La vidéo est disponible sur le lien suivant : http://www.youtube.com/watch?v=zDZFcDGpL4U
Et lorsqu'on ose évoquer la concertation ou la reforme des rythmes scolaires, c'est tout le lobbying hôtelier, ainsi que les syndicats d'enseignants qui protestent, au mépris de l'épanouissement des enfants.

Si un étudiant me lit, j'aimerai lui dire : 
- Ne fais pas ça. Ne t'inscris pas en pharma', à moins que tu n'aimes l'ordre, les choses établies, et l'autorité. Si c'est le cas, alors tu aimeras sûrement cette forme absolue de soumission et tes pairs sauront te récompenser. T'inscrire en pharma' c'est renoncer à réfléchir, et après la mort de dieu, ça sera la mort de ton esprit. Si tu arrives au bout, le diplôme en poche, tu comprendras l'abjecte vérité, celle du temps volé et ta lente transformation en un agent économique, au service des marchés.

On se demande parfois si l'humanisme a encore sa place, dans un univers dominé par le profit et ou les individus ne sont que des agents économiques. La "santé" ne déroge pas à la règle, que ce soit les visiteurs médicaux, les laboratoires pharmaceutiques, les établissements de santé publique, la tarification à l'acte, cet écosystème se doit aujourd'hui d'être rentable. L'innovation se raréfie, les molécules réellement innovantes se font attendre, le risque, l'audace, s'effacent quand de nouveaux domaines comme le market access, apparaissent et se développent.

L'individu et sa pathologie sont relégués au second rang, tout est prétexte à la monétisation, aux parts de marché. Le DSM-V - bible de la psychiatrie - ne cesse d'inventer, d'imaginer de nouvelles maladies, terreau fertile à des "big pharma" qui recycleront de vieilles molécules éprouvées. Dans cette équation généralisée, l'étudiant, puis le jeune diplômé junior, ne sera qu'un maillon, un rouage qui n'existera que parce que le marché à besoin de lui. Notre société, incapable d'une vision à long terme, s'enfonce dans le court-termisme d'une logique financière, forcement assassine pour sa jeunesse.
Jonas Salk, dans les années 50, inventait le vaccin contre la poliomyélite. Naïf ou éthique, il choisissait de ne pas breveter sa découverte, renonçant selon les estimations à un bénéfice de 7 milliards de dollars. En 2013, la recherche ne semble pas être une priorité. Dans les facultés, les étudiants abandonnent toujours un peu plus l'idée de changer le monde. Les rêves s'éteignent, année après année, au profit d'un pragmatisme économique. Il faudra chercher "le bon Master", pour décrocher "le bon stage", pour décrocher "le bon job", aussi chiant soit-il. La faute à des structures de recherche sous financées, et n'offrant que peu de places.

Les Jonas Salk sont mort. Place aux requins de la finance. Bill Gates, autoproclamé "philanthrope", aux côtés de GSK, auront investi respectivement 200 et 300 millions de dollars dans un vaccin contre le paludisme. Le président de la firme GSK, Andrew Witty, annonce sans gène, projeter un petit profit de l'ordre de 5 %, pour ne pas décourager la recherche, selon lui. Cynisme total, encore et toujours, pourquoi s'en priverait-il ?(4)
La magnanimie n'est plus de ce monde. Les talents, les individualités courent vers la rentabilisation de leur intelligence, et la maximisation des profits.
Sans parler de Bill Gates, c'est le principe de rareté qui prédomine. L'offre et la demande dit-on, si on se réfère aux principes du capitalisme.
Ainsi, certains médecins "mercenaires" n'hésitent pas à se faire payer 3000 euros les vingt-quatre heures de garde, raconte le directeur de l'hôpital de Vienne. En général, cela tourne aux alentours des 1 400 euros les vingt-quatre heures incluant la garde, si on se focalise sur la spécialité d'anesthésie-réanimation ou de la médecine d'urgence (5).

Basculement des valeurs, entre un Jonas Salk crachant sur 7 milliards et un "mercenaire" à 3000 euros/jour. "Il n'y a rien de honteux à cela", dit une jeune médecin dans entretien paru sur le monde.fr. Effectivement, mais sa petite entreprise intellectuelle n'existe que parce que les gouvernements successifs ont maintenu cette rareté. Le numerus clausus, cousin lointain des concours des grandes écoles, participe chaque année au maintien d'une caste, jouissant d'un savoir médical et s'appropriant son exploitation, manifestement de plus en plus dérégulée. Logique des marché, encore.

"Il n y a rien de honteux à cela", "une envie de liberté", "travailler moins, pour gagner plus", la même attitude égoïste, le même trait narcissique et individualiste, consistant à croire que sa prospérité légitime ; est légitimée par un concours ouvert à tous, ne se faisant donc, sur le dos de personne.
"Elle ne l'a pas volé", pourrait t-elle presque dire.

Qui rêve encore de changer le monde ? Pfff, c'est tellement has been.
Les contingences des lois du marché, imposent nécessairement l'individualisme. La coopération ne peut exister en l'état. Les concours obligent les jeunes à concevoir la vie comme une infinie compétition. Compétition dès la fac, compétition aux entretiens d'embauche, compétition une fois en poste. La notion de développement durable explose devant une logique financière implacable. Les dominants et leur progéniture ne s'y trompent pas. Les grandes écoles font le plein, la meute effrayée par tant d'incertitudes, cherche à tout prix une place dans le haut du panier. L'école polytechnique - l'X-, l'École normale supérieure, L'École des ponts, l'École centrale, ne forment pas des prix Nobel, non, ils se content de s'adapter et offrent les meilleures formations en mathématiques financières (6). Les jeunes et brillants esprits de notre nation, ne rêvent plus d'absolu. La bulle matérielle et la sécurité financière deviennent le nouvel idéal, où l'appartement parisien, la nouvelle voiture, le dernier téléphone, cristallisent le sentiment du succès. 
A cette jeune médecin "mercenaire", à ces jeunes apprentis traders, j'ai envie de dire :
-"Peut-être n'avez vous pas honte, certes. Reconnaissez néanmoins que le mérite ne vous en revient pas. Qu'à la loterie génétique vous avez été bien loti, et que votre subsistance n'est possible, que parce que votre caste l'a bien consentie. Vous devez tout à vos parents."

Pour ceux qui ont encore une once de rêve, ceux dont je me sens proche, j'ai envie de dire, unissons nous, luttons, à notre échelle. Cultivons le Bien, le Beau et le Vrai (Platon). Commençons donc, et n'achetons pas d'iphone, n'obligeons pas nos enfants à faire une prépa', méprisons GSK, pleurons ceux qui vivent par et pour leur travail, vomissons sur ces médecins "mercenaires", ces traders...

Car si le capitalisme et ses loups ont déjà tout achetés, y compris notre temps, et nos vies, il est une chose qui demeurera, ce sont nos idées et nos rêves.




Bibliographie : 

1. Depêche AFP, "Russie : Poutine promulgue la loi contre la "propagande" 
    homosexuelle", lenouvelobs.com, 2013.
     lien : http://tempsreel.nouvelobs.com/topnews/20130630.AFP8023/russie-poutine-signe-la-loi-contre-la-propagande-homosexuelle.html


2. Isabelle Rey-Lefebvre, "Le tutorat des étudiants en médecine s'organise face 
    aux prépas privées." Lemonde.fr, 2013.
      Lien : http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/08/06/le-tutorat-des-etudiants-en-medecine-s-organise-face-aux-prepas-privees_3457942_3224.html

3. Martine Laronche, "Elèves trop stressés : la faute aux parents?".
    Lemonde.fr, 2013.
      Lien : http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/04/13/eleves-trop-stresses-la-faute-aux-parents_1180067_3224.html


4. Le vaccin selon Bill Gates.
    Lien : http://www.youtube.com/watch?v=bxGN3NiS6aU

5. Laetitia Clavreul. "Médecin mercenaire ? "Il n'y a rien de honteux à cela". 
    Lemonde.fr,2013.
    Lien : http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/08/12/medecin-mercenaire-il-n-y-a-rien-de-honteux-a-cela_3460251_3224.html



6. Isabelle Rey-Lefebvre. "Les formations à la finance se réinventent avec la 
    crise". Lemonde.fr,2013.
    Lien : http://www.lemonde.fr/education/article/2013/01/30/les-formations-a-la-finance-se-reinventent-avec-la-crise_1824389_1473685.html





"The Wolf of Wall Street", de Martin Scorsese, 2013.

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