jeudi 23 avril 2015

J-120 : Garden State, Norlevo, et les requins....



  23 Avril, 3h11

Dans la vie il est des certitudes qui ne durent pas. Je me voyais déjà vivre ma vie à Montréal, vivre au grand air, me frotter à la culture anglo-saxonne et finalement quitter cette bonne vieille France, mais ça c'était "avant".
Il est des jours, des moments, des instants, hors du temps, comme touchés par la grâce, où l'on sait que plus rien ne sera comme avant....

27 Avril, 1h12

Oscar Wilde disait, « seul l’amour peut garder quelqu’un vivant ». (1)


J’ajouterai, que ce n’est pas tant d’être vivant dont il devrait être question, mais de vivre, vivre intensément. 
Tout a été dit, où presque, au sujet de l’amour, depuis Platon et son Banquet, jusqu’à Romeo et Juliette, de Shakespeare. Et pourtant, nous n’avons de cesse que de vouloir en parler. Avant « elle », ces choses-là, me semblaient belles, hypothétiques, romanesques, quasiment de la science-fiction, jusqu’à ce jour où, pour citer Marguerite Duras : « Vous demandez comment le sentiment d’aimer pourrait survenir. Elle vous répond : peut être d’une faille soudaine dans la logique de l’univers. »
C’était une banale journée à l’officine, une de ces journées durant laquelle, le balai incessant des patients ne venaient même pas rompre la monotonie et la torpeur intellectuelle dans laquelle je dormais. Le caquètement insipide, ainsi que la vacuité de la conversation des préparatrices résonnaient en moi, comme une infinie torture moyenâgeuse.

- Dieu que cela pouvait faire mal.

Puis il y eu cet étrange instant, comme hors du temps, durant lequel elle fit sa brève apparition. Tout en se dirigeant vers moi, je sentais mon coeur s’emballer, dans un état de tension que je n’avais jamais connu. Sa seule présence m’avait transporté ailleurs, sans autre explication que l’irrationalité de l’amour. 
Après avoir échangé quelques mots, qui m’avaient semblé ne durer qu’un tout petit instant, elle s’en allait, déjà, me laissant nourrir le mince espoir de la revoir un jour.
Ironie du sort, elle était venue acheter une « pilule du lendemain ». Dans la plus grande tradition rationnelle et cartésienne qui aurait du m’animer, il m’aurait fallu, en toute logique, renoncer à vouloir là revoir, encore moins m’imaginer quoi que ce soit. Et pourtant, j’avais cette certitude, que nous allions nous retrouver, et qu’elle avait été troublée par notre rencontre, de la même façon que je l’avais été. Au diable la logique et la rationalité, cet instant nous avait transporté loin, loin de tout.

Les semaines suivantes avaient eu une saveur particulière, puisque nourrissant le secret espoir de la revoir, sans jamais savoir quand cela se produirait. Il m’en fallait donc me remettre à ses allées et venues. Et quand un matin, elle daignait pointer le bout de son nez, la même alchimie opérait, à ceci près, qu’elle était beaucoup moins spontanée que la première fois. La journée se terminait, je pouvais donc enfin rentrer chez moi, réfléchir et me demander ce que j’étais en train de vivre.
Au fil des semaines, l’euphorie originelle de cette première rencontre, laissait place maintenant à un sentiment mitigé, ambigu, étrange. 

Cette fille, à la fois si familière, chaleureuse, passionnée, soufflait parfois le chaud et le froid, selon le moment, me laissant plus d’une fois complètement désarçonné, désespéré. Je ne comprenais pas ses attitudes, m’ignorant parfois complètement. J’étais en colère de la voir jouer ce petit jeu, méprisant cette attitude artificielle qu’elle adoptait, pour je ne savais qu’elles hypothétiques mystérieuses raisons … 
J’avais envie à ce moment là, de ne plus m’intéresser à elle, trop énervé de la voir se comporter de la sorte, mais c’était plus fort que moi, et j’étais trop attiré par elle, de façon quasiment mystique, animale. Comme deux âmes destinées à s’entrechoquer, s’assembler.

Et puis un jour, cela avait été plus fort que moi, je m’étais mis en quête d’informations là concernant, me rendant compte que nous avions « un ami » en commun sur ce fameux réseau social « Facebook ». Saisissant cette étrange coïncidence, je m’empressais un soir, de lui envoyer un message privé qui ne recevra jamais de réponses, en retour. Mais, à mon plus grand étonnement,  « elle » continuait de venir me voir à la pharmacie, tantôt joviale, tantôt glaciale, ne mentionnant  jamais la réception de ce message. J’étais complètement perdu, noyé dans l’incompréhension la plus totale, à deux doigt de me persuader que je la détestais, plus que je n’étais attiré par elle.

Et puis un jour, c’est elle qui finissait par m’envoyer un petit mot pensant avoir été la première à se jeter à l'eau. Un peu méfiante de nature, elle avait en réalité instauré le blocage de « tous les messages entrants » ne provenant pas strictement de « ses amis ». Elle n'avait donc jamais reçu mon message. Chacun avait essayé de contacter l’autre. 
Et voila, la machine était lancée, nous étions maintenant dans le même univers.

Le soir même nous passions la soirée à nous écrire par messages interposés, laissant les choses avancer petit à petit, goûtant au plaisir simple des mots , apprenant à nous connaître, comme les amoureux l’avaient toujours fait. Je me souviens cet état de grâce. Elle ne m’apparaissait plus distante, ou froide, comme elle avait pu l’être avant. Elle était enfin elle même.

Au fur et à mesure que nous avancions, je pressentais que cette fille serait spéciale, unique. Nous passions donc nos nuits au téléphone, sans pour autant qu’elle daigne accepter une invitation à dîner. Je ne comprenais pas tout à fait sa retenue à l’idée de me voir. Nous étions sur un nuage, comme en dehors du temps et de l’espace, dans une parenthèse, où le son de nos voix résonnait doucement dans la nuit, sans que celui-ci ne puisse se projeter dans le monde réel. Et puis un soir, enfin, je finissais par l’emmener dîner ;  un autre soir, je l’emmenais voir la mer, perchés sur cette grande roue, au dessus du port. Je pouvais lire dans ses yeux, qu’elle irait au bout du monde avec moi, et qu’elle ne voulait personne d’autre. Nous étions tellement vivants.
Au retour, je lui prenais la main, nous parlions encore, et encore, jusqu’à nous endormir tout habillés, l'un à côté de l'autre. Le moment fatidique du premier baiser n'arrivant que bien plus tard. Nous étions vraiment en harmonie.

Mais la vraie vie n’est pas un roman, où les chapitres se déroulent tranquillement. Nous avons tous nos blessures, notre passé, notre vécu, qui expliquent les moments difficiles que nous avons eus. Mais nous nous sommes tirés vers le haut, elle et moi, toujours. Aussi, je dois avouer que c’est elle qui aura terminé de me transformer en homme, elle qui m’aura poussé dans mes retranchements, m’aura obligé à me remettre en question, à avancer, à croire en moi. J’étais à l’agonie sur cette chaise, le regard dans le vide, lorsqu’elle est entrée dans ma vie. Elle aura insufflé un souffle, fait ressortir le meilleur de moi-même, m’aura murmuré que tout est possible.

J’espère de tout mon coeur en avoir fait autant pour elle, l’avoir relevée de la même façon, l’ayant rencontré blessée, meurtrie, effondrée. 
Nous nous sommes mutuellement réparés. Cela ne s’est pas fait sans accrocs, ni larmes. Grandir, se dire les choses, ouvrir les yeux de l’autre ne se fait pas sans mal, ni efforts. Mais nous avons tellement eu de bons moments, que le reste n’est qu’un détail insignifiant. Comment pourrais-je les regretter, quand bien même je souffre terriblement à l’idée de ne plus la voir. Comment oublier toutes les choses du quotidien, ces nuits, ces moments, durant lesquels nous avons refait le monde, conjugués nos vies. Toutes nos disputes ne sont en réalités, et je m’en rends compte maintenant, que l’essence même de la vie d’un couple, comme un processus perpétuel d’amélioration et d’échange, afin d’avancer, se renouveler. L’amour véritable a ce ceci de particulier qu’il ne se satisfait pas des choses moyennes, fades, encore moins fictives. C’est peut-être la différence, le secret des âmes soeurs, qui finissent toujours par se reconnecter l’une auprès de l’autre peu importe les épreuves qu’elles traversent.

Nous étions des épaves avec tout ce que cela implique, nous sommes maintenant des adultes métamorphosés, près à relever le défi de la vie. Elle me manque terriblement, mais je sais, dans mon for intérieur, que c’est la bonne, comme une évidence. J’ai à cet instant le courage de faire ce qu’il me plaît, de me lancer dans un projet qui me tient à coeur et qui donnera sûrement un sens à ma vie. 

Pourquoi pas sauver les requins de l’extermination, aider les gros à mieux manger, bouger, proposer une alternative éducative aux enfants surdoués, fabriquer un « fablab », et j’en passe... Il ne reste plus qu’à organiser cette aventure. C’est donc peut-être cela être un aventurier, oser réaliser ses projets, vivre sa vie, pleinement.

« J’entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde. » a dit paul Eluard. Le quotidien est effectivement difficile après une rupture, où c’est comme une partie de soi que l’on nous arrache. La tentation est grande de sombrer dans la mélancolie, la tristesse. J’imagine qu’il est normal de souffrir quelques temps, histoire que le cerveau retrouve une forme d’équilibre, mais je n’avais pas imaginé que ce serait à ce point difficile. Qu’importe, si « dieu est mort » pour Nietzsche, que reste-il au monde si ce n’est l’amour ? Je retiendrai alors victor Hugo, car : « C’est à peine si l’on ose dire maintenant que deux êtres se sont aimés parce qu’ils se sont regardés. C’est pourtant comme cela qu’on aime et uniquement comme cela. Le reste n’est que le reste, et vient après. » (2)

Notre premier chapitre fut la découverte de ce sentiment, entier, explosif, violent. Je ne doute pas que le second sera celui de la construction. Car, « le couple heureux qui se reconnaît dans l’amour défie l’univers et le temps : il se suffit, il réalise l’absolu. » Simone de Beauvoir. (3)



1. Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray, Stock, 1924

2. Victor Hugo, Les misérables, 1862

3. Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, Gallimard, 1958


Garden State, de Zach Braff, 2005, 















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