J'ai assisté il y a quelque temps à la cérémonie de remise des diplômes organisé par la faculté. Derrière la solennité du moment, il fallait surtout deviner le ridicule à peine caché.
Au départ, le discours des mecs en rouges, nippés comme des papes , assomma la moitié de l'audience. Même blasé, on se dit tout de même à ce moment là, que c'est un moment important de la vie cette foutue remise de diplôme, une sorte de libération, un peu comme recevoir son permis de conduire.
C'était surtout le sésame pour débuter les démarches d'expatriation.
Le poncif, après avoir rappelé le poids, la charge, la symbolique du moment tentait de nous rappeler la chance qu'on avait eu de traîner 6 ans durant nos carcasses dans des locaux historiques, chargés d'histoire.
Ah bon ? Il n'avait rien d'autres de plus pertinent à dire le mec ?
Après une heure à écouter les palabres du pape, on s'était dit dans notre for intérieur qu'on allait enfin pouvoir récupérer le précieux papier et boire une petite coupe de champagne avec les camarades de cellules. A ce moment là, moi je me sentais surtout comme dans le film "les évadés".
Certains avaient fait venir les parents, les grands parents, en costard et tout, mais franchement, pourquoi se mentir à soi-même ?
Finir ces études, c'était surtout finir de purger une peine de "zonz" de 6 ans en milieu carcéral.
Une heure après le discours des papes, la cérémonie enchaînait sur une remise de prix spéciaux dont je ne connaissais même pas l'existence.
Un des mecs en rouge : "... elle naquit en 1985, avec une mention très bien au bac, et une moyenne de 13,55, mlle.X a eu un parcours qu'on qualifiera de brillant. Ses deuxième et troisième année furent tout aussi brillantes avec des moyennes respectives de 14 et 13,95 ; son stage de fin d'étude effectué chez blabla lui permet aujourd'hui d'avoir une belle carte de visite. Enfin votre grand père aussi était pharmacien, bla bla...". Nous appelons donc adèle Boularre pour la remise de ce prix spécial, (applaudissement de l'amphithéâtre).
Une farce, une mascarade, un bazar ! Quelques prix spéciaux plus loin, récompensant ainsi une poignée d'étudiants sur d'obscurs critères et méprisant ainsi in fine le reste de la troupe, la cérémonie se terminait sur quelques moments insignifiants sur lesquels on ne reviendra pas ici.
Mascarade - prise d'otage - prison - mitard ?
L'année du concours, c'est une année assez pauvre et sans intérêt, comme une sorte d'année de préparation à un marathon. Chacun sa merde, chacun ses méthodes, chacun ses résultats. Il n'en ressort au final rien de très intéressant.
La deuxième année marque un tournant, un basculement en quelque sorte. Chargé d'adrénaline, euphorique, on se dit qu'on appartient à une nouvelle caste, une caste de protégés, mais la lune de miel intellectuelle ne va pourtant pas durer bien longtemps.
En septembre on se fait des potes, souvent en fonction des affinités. On commence l'année la fleur au fusil. La deuxième année, c'est une année très technique, où l'on comprend que "pharma" c'est une filière généraliste, sombre, et fourre tout. C'est là que commence le concept de prison.
Après quelques semaines à découvrir le programme, on se dit de un, que c'est très chiant, de deux que c'est extrêmement chiant, de trois, que la route va être longue. Alors on se dit, on se persuade, que peu-être tout cela va s'améliorer l'an prochain.
Généralement quand on intègre "Fleury-Mérogis", c'est qu'on a fait une connerie, non ?
L'ironie c'est que pour intégrer "pharmérogis" on passe un concours affreux, chiant, et désespérant d'ennuis et qu'une fois dedans on semble vouloir définitivement y rester.
A "pharmérogis" c'est un petit peu différent, on devient prisonnier de soi-même. On ne quitte pas un endroit sensé nous donner un papier magique donnant accès au plein emploi, un salaire confortable et un statut social confortable.
Face à un monde en pleine crise, n'offrant que insécurité, chômage, et absence d'opportunités, abandonner ses rêves, sa curiosité, sa vivacité intellectuelle, devant l'hôtel de l'ennui ne semble pas être un compromis si mortel à 20 ans.
Le "student bore out" ou syndrome d'épuisement intellectuel par l'ennui a fait rage dans les rangs durant ces 6 années. Chaque matin "en blanc" de travail, on faisait l'analogie du bagne, du mitard, casser des cailloux parce que le maton nous le demandait, courber l'échine, baisser la tête, ne pas faire de vague, la peur de l'administration... En somme une analogie parfaite avec le milieu carcéral.
En réalité le "student bore out" dénote surtout l'incapacité d'un système universitaire français à stimuler ses jeunes esprits et sa singulière habitude à créer un sentiment de défiance et de frustration profond chez les étudiants.
L'ennui annihile toute volonté de puissance - rappelons ici Nietzsche - chez les étudiants et assomme toute forme de rêve. C'est un peu comme une sorte de bizutage intellectuel sur 6 ans.
La plupart des étudiants diplômés ce jour-là était heureux il me semble, un sentiment normal j'imagine pour ceux qui ont docilement embrassé le système, collaboré à une forme d'asservissement intellectuel.
Pilule bleue ou rouge, Pour nous, c'est la fin des coups de bâtons, des privations, des sévices et autres brimades intellectuelles. Ce foutu papier nous l'avons, l'occasion de rêver un peu. Car il y a une forme d'universalisme en prison, le rêve en une vie meilleur une fois sortis de là.
Prochain billet : Animosité gratuite ou véritable problème structurel de l'enseignement pharmaceutique en France ? Critiques faciles ou véritables lacunes qualitatives de l'enseignement universitaire en France ?
Les évadés, 1994, F.Darabont |
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