lundi 15 juillet 2013

J-363 : externat, fin de cursus, les AVK.



16 Juillet 2013
Retranscription d'un échange par SMS avec un ami tout juste diplômé et moi même : 
- PHARMA M'A TUER, disait-il dans son premier message.
- De quoi tu parles ?   
- PHARMA M'A TUER. Je suis à terre. Continuait-il dans un second message.
Fin de l'échange, j'étais au travail. Le connaissant, c'était bien évidemment à prendre au second degré quand bien même le fond du message devait avoir un sens. Je suis resté dubitatif quelques minutes pendant que j'étais au comptoir avec une patiente. Et puis, je me suis repassé le message en boucle presque toute la journée, pour finalement en comprendre la symbolique.
19h30, fin de la journée. Je saute dans le métro, et je me dépêche de prendre un calepin pour jeter quelques idées pour le billet de ce soir.
Je me suis repassé les dernières années en compressant le temps au maximum jusqu'au moment présent. Un peu comme dans un clip psychédélique, j'ai revu les 3 dernières années repasser dans ma tête en 3 min pour prendre la mesure de ce qu'on avait vécu et l'impact que ça avait  sur notre moi présent.

La 5e année pour les étudiants en pharmacie, c'est une année dite hospitalo-universitaire. Un mi-temps partagé entre une présence stricte à l'hôpital le matin et des cours classiques à l'université l'après midi. Le hic, c'est qu'on s'est tous un peu senti comme des chiens qu'on balançaient dans une navette spatiale histoire de tester les effets que cela pourrait avoir sur les organismes.
L'excitation de découvrir un univers hospitalier et ses nombreux protagonistes aura rapidement laissé la place au désenchantement le plus radical. Si l'idée de départ semble bonne, elle se heurtera rapidement au manque total de préparation et in fine, nous abandonnera à notre sort. Chaque étudiant passe ainsi le plus souvent 3 mois dans une pharmacie hospitalière (P.U.I) et le reste du temps dans des services hospitaliers.
Concrètement ?
Je me souviens le premier jour de stage, avoir été lâché en pleine "grande visite" dans le service d'endocrinologie, après une introduction rapide au chef de service par le pharmacien responsable, comme un père lâcherait son gamin à la crèche avant de filer au travail vitesse grand V.
Je me souviens du visage dubitatif des externes en médecine et des internes, devant ce nouvel arrivant arborant un badge inconnu d'externe en pharmacie. Un moment unique, un moment brutal, un moment qui marque. En tant qu'externe les tâches sont finalement assez simples et consistent à  ranger des médicaments à la P.U.I, découvrir le système de pharmacovigilance, et donc remplir quelques feuilles d'événements indésirables survenus dans les services, et liés à la prise d'un médicament, d'assister aux visites hebdomadaires, d'écouter, de beaucoup écouter, ou de  poser des questions pour les plus téméraires. Certains aventuriers c'est le cas de le dire, pourront nouer des contacts et échafauder leur sujet de thèse.

L'étrangeté de l'année hospitalo-universitaire et la violence qui en découle proviennent non pas de l'institution visité (l'hôpital et son personnel), mais de l'absence de sens et de tâches dévolues. La mise au placard intellectuelle qui est forcément subie tue à petit feu pendant un an, et ça fait mal, très mal même. Surtout quand l'environnement direct est aussi stimulant. Pour faire simple : tout le monde "s'amuse" et on reste dans une pièce seul, à côté, à regarder le mur.

Aussi n'ai-je pas trop envie de fouiller ma mémoire s'agissant des matinées passées là-bas. "Chacun sa 5HU, chacun sa merde", certains arrivaient à s'enfuir en cachette, c'était en quelque sorte l'année de tous les subterfuges. D'autres avaient un pharmacien responsable peu regardant, leur laissant le loisir de sécher des mois durant sans être inquiété. 
Alors si Dr.A.X m'a envoyé ce SMS, c'est que sa coupe devait être pleine l'espace de quelques instants.
J'imagine pour lui, un premier cycle barbant, un deuxième qui l'aura été tout autant, truffé de points inutiles, un stage hospitalier éprouvant et une thèse insensée et ce client-patient qui devait finir de le faire exploser intérieurement au comptoir.

"PHARMA M'A TUER", c'est un beau message finalement, un constat, une belle forme d'auto dérision, le courage de reconnaître qu'il venait de bouffer 6 ans de "merde", à la petite cuillère. Lorsqu'un environnement social et normatif tel que "pharma" vous persuade de la valeur et de la grandeur de votre diplôme, difficile d'aller en sens inverse ; cet ami allait pourtant plus loin quelques minutes plus tard en m'envoyant : 

 - PHARMA M'A TOUT PRIS, J'AI PLUS DE FROC...

Effectivement il n'a plus de froc, mais ai-je envie de dire, c'est le pays tout entier qui n'en a plus, au détriment des patients encore, comme bien souvent.
Résumons sans être dans la critique facile d'un système universitaire sur lequel tout le monde tire déjà.
Il suffit de suivre l'actualité. Les pharmaciens sont désormais impliqués dans le suivi des patients sous traitement par A.V.K. Ils seront rémunérés pour effectuer des entretiens pharmaceutiques, s'assurer de la bonne observance et de la compréhension du traitement par le patient. Belle initiative, sauf qu'il y a un hic. 
Un gros hic même. Mon pote me dit qu'il est mort ; façon de parler j'imagine. Il est déprimé parce que la fac lui a flingué son cerveau en le gavant de connaissances qui ne serviront pas à grand chose. Et puis il a du se mettre à quatre patte pour satisfaire les égaux surdimensionés des professeurs issus de chaque chaires universitaires, et cela aura fait de lui un docteur plutôt calé, mais calé en quoi ? A bout de souffle après sa thèse, mon pote trouve un taf et se retrouve adjoint en CDD dans une pharmacie moyenne où il se retrouve maintenant à devoir faire des entretiens sur les AVKs.
Mais comme mon pote s'est fait chié pendant ses études, il a perdu tout esprit critique. Alors devant l'ordonnance de Previscan (1), il fait le minimum. Il explique gentiment que l'INR doit être entre 2 et 3, lui explique les dangers de l'automédication dan son cas, la nécessité de ne pas oublier ses cachets, etc. Il fait son taf quoi. Sauf que mon pote est un peu largué, il sait pas que le previscan n'est utilisé qu'en France, et qu'ailleurs on lui préfère la coumadine. Normal, il a jamais lu Prescrire.
Et puis pourquoi est-ce qu'il se ferait chier à lire Prescrire ?
Avec le médiator y en a eu un paquet de morts, des milliers même, et personne n'a jamais été inquiété, pas un seul pharmacien. C'est sur, Il dormira tranquille, pas vraiment inquiété il a aura bien fait son taf.
Et puis la fac, c'est pas vraiment son taf non plus de correctement former les étudiants, de leur transmettre un esprit critique, puisque les ministres eux même s'en foutent. C'est vrai ça, la fluindione c'est le pire des AVK, mais d'un autre coté ça favorise les emplois français, alors "fuck you" la warfarine, et au diable la balance bénéfice-risque, on trouvera bien d'autres effets d'annonces pour garder la face.
Les patients ? "... pfff, on s'en fiche ils sont tellement malades ; d'ailleurs dieu lui même ne les aime pas." Dr.House

Finalement, mon pote, il a bien raison, "PHARMA L'A TUER", lui aura pris sont temps, son cerveau, sa créativité, sa perspicacité et son esprit critique. Mais mon pote n'est pas encore tout à fait mort, il est résilient, une qualité rare en pharmacie. L'avenir se trouve peut être ailleurs, en tout cas il se trouve assurément dans la revue Prescrire. Si pharma l'a tué, peut-être tuera t-il la fluindione.




                 Omar m'a tuer, 2011,  de R.Zem



1. Effets indésirables immuno-allergiques des fluindione. La revue prescrire 
   juin 2003. tome 23 numéro 240






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