Août. Lundi. Neuf heures trente du soir. Je me prépare psychologiquement à recommencer la semaine, avec l'impression que le week-end est passé à toute vitesse, sans que je puisse vraiment en profiter.
Je cherche à m'évader, m'extasier. Le départ me semble à la fois si loin et si proche à la fois. Mon dossier d'expatriation prend du retard. J'étais sensé envoyer le tout début août, mais la scolarité de la faculté étant fermée, je vais devoir attendre encore une semaine. Foooke.
Le vague à l'âme, je compte les jours, avec cette sensation nauséabonde de ne pas être à ma place. En escale dans mon propre pays, j'observe les trajectoires individuelles, motivées par le souci du soi et l'effondrement du vivre ensemble.
Installé à la terrasse d'un café d'un des terminaux de l'aéroport imaginé, je regarde les informations diffusées sur un vieil écran. Marie-Claude Bompard, élue de la République, refuse de marier un couple homosexuel, soit disant incompatible au regard de sa religion. Elle encourt jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et peut être condamnée à une amende de 75 000 euros. Cela choque-t-il les élites, la garde des sceaux ? Non, bien sur, ils sont trop occupés à vernir leur image, à parader, comme on l'a vu durant les journées d'été, d'Europe Ecologie.
La rhétorique, la fumisterie, la démagogie, l'implacable manipulation des masses, ne cesse de crever l'écran. Le peuple, au même instant, s'abreuve de faits divers que la télévision voudra bien leur servir, et lorsqu'un "vieux" se fait assassiner en pleine rue, c'est l'apparence du courage et l'injustice vécue par cette famille qui est récupérée.
Ainsi, deux petits malfrats à scooter, tuent un homme - sûrement sous le coup de la panique - et les masses s'agitent, le ministre de l'intérieur Manuel Valls, en personne, salue d'ailleurs la "bravoure" du sexagénaire, rappelant au passage, les moyens mis en oeuvre pour rechercher son complice. Démarche écoeurante, ridicule et pathétique.
A l'opposé, la "pharmaco-délinquance" qui touche beaucoup plus de français, aux travers les médicaments qu'ils ingurgitent, reste définitivement sous silence (3). Ces enjeux, beaucoup plus profonds, échappent au plus grand nombre, aux profits des cadres de ces grandes compagnies et des hommes politiques courtisés par les lobbystes. Les délinquants de la ville de Marseille monopolisent de fait, tout l'espace audiovisuel et les titres, d'une presse écrite généraliste médiocre. Mais qui se soucie des pressions qu'Irène Frachon à subit durant ses investigations ? Qui se soucie des morts liés au Médiator ? Qui se soucie de ces familles qui ont perdu un proche. Pourquoi personne n'a donc organisé de marche blanche en leur honneur ?
Qui se souvient des coupables derrière les affaires liées au Distilbène ? à l'Isoméride ? au Vioxx ? Alors que la rémanence populaire ne fait jamais défaut, lorsqu'il s'agit d'assassins célèbres, tels que Guy George, Marc Dutroux et j'en passe. Le sensationnalisme populaire règne en maître.
Pourquoi Manuel Valls ne fait-il pas un discours sur le courage et la pugnacité d'Irène Frachon ? Pourquoi Christiane Taubira, au lieu de citer Césaire, ne poursuit-elle pas ces maires qui bafouent le droit et participent de facto, à la discrimination que subissent régulièrement les homosexuels ?
Je rêve définitivement "d'ailleurs", devant un pays qui n'a pas l'envie, ni le courage de se renouveler. A coté de moi, il y a une femme qui fume une E-cigarette, elle vapote comme on dit. Pas de bol, Il parait qu'elles émettent aussi des substances nocives. "Oui, et ?", ai-je envie de dire.
Mais surtout, on se demande pourquoi l'ANSM ne statut pas clairement sur le sujet. Pourquoi l'analyse de ces vapeurs, maintenant déclarées toxiques, se retrouve au mains d'une revue comme 60 Millions de consommateurs ? Pourquoi l'Etat est-il systématiquement hors-sujet, à la traîne, à la ramasse ?
Il y a une pharmacie dans l'aéroport. C'est d'ailleurs là, qu'elle a trouvé sa cigarette électronique. La profession, arc-boutée sur ses soi-disant principes de protection des patients, n'a en réalité aucune vergogne à vendre des dispositifs médicaux non contrôlés. La profession m'ennuie, m'aliénant chaque jour un peu plus et consumant les quelques précieux neurones qui me reste. J'ai envie de me sentir exister. J'étouffe, j'ai la "nausée".
Je discute encore un peu avec cette jeune femme. Je la trouve plutôt sympathique. Elle aussi un bac plus six en poche et rêve de quitter la France, pour les mêmes raisons d'ailleurs. Le monde est petit. Je remarque ses lentilles de contact. J'aimerai faire connaissance et lui parler d'autres chose, mais c'est plus fort que moi. Je lui demande alors, quelle solution de décontamination utilise-t-elle ? Elle m'avoue utiliser Renu, mais que dans la précipitation, elle aura oublié son flacon. Pas de panique, la pharmacie de l'aéroport lui aura aussi vendu un petit coffret "spécial voyage", avec à l'intérieur, une solution multiusage. Mais le fait est, que ces solutions posent en réalité problème. Un problème de taille même.
Les pharmaciens oublient parfois les responsabilités pénales auxquelles ils sont soumis. A ce titre, il serait ainsi judicieux de rappeler qu'ils sont responsables des dispositifs médicaux qui transitent dans leur pharmacie. Le commercial qui aura proposé une bonne remise pour ce lot de solution multiusage "spécial voyage", a-t-il commenté les propriétés intrinsèques de son produit ? Et les pharmaciens qui proposent ces solutions, regardent-ils autre chose que le prix d'achat et les remises proposées ?
Plusieurs publications ont démontré la toxicité des solutions multiusages pour lentilles, sans que le grand publique ne soit forcément au courant. Si elles sont assez commodes, les conservateurs qu'elles contiennent, par exemple les ammoniums quaternaire (benzalkonium chloride, polidronium chloride) ou encore les biguanides, entraînent une toxicité cellulaire et une apoptose des cellules cornéennes à l'origine souvent d'une sensation d'inconfort. Enfin, ces solutions (Renu, Optifree, Jazz,etc.) peuvent être à l'origine de kératites microbiennes nécessitant parfois une hospitalisation et d'autres effets secondaires, parfois graves (1). Qui le sait ?
Les pharmaciens s'en soucient-ils ? La logique étant que si ces produits sont en vente, c'est que ces derniers peuvent bien les vendre. La notion de balance bénéfice-risque échappe encore une fois aux autorités de santé, qui placent le dispositif médical sous statut spécial, nécessitant moins de contrôle. L'affaire des prothèses PIP étant le symbole de ces lacunes.
J'ai la conscience tranquille, je n'ai jamais délivré de solution de ce type. A la place, on préféra les solutions à base de peroxyde d'hydrogène (oxysept, aosept), dont l'efficacité sur les agents fongiques est meilleure, sans effets secondaires notables (2).
Pour me sentir vivant, peut-être devrai-je m'inscrire dans un fight-club, la douleur me rappellerai ainsi, la réalité de mon existence. Pas sur en revanche, que la douleur soit un subterfuge à l'ennui. La révolte, la volonté de changer les choses, sûrement. Tyler Durden aura d'ailleurs exploré cette voie. Mes amis, ma famille, ne sont plus sous solution multiusage, c'est déjà ça. Les lecteurs de ce blog aussi, espérons le. Quid du reste de la population ?
Sans être schizophrène, me voila donc bloqué en transit, dans cet immense aéroport. Je scrute l'heure de mon vol, l'escale semble interminable, mais dans cet effroyable gaspillage temporel, le lieu semble encore propice aux rencontres, aussi fugaces soient-elles. Point de fatalisme, l'envie de connaître l'autre m'anime encore un peu, le salut se trouve encore et toujours dans "la" rencontre, dans "la" bonne discussion. Ici, j'aurai au moins sauvé en partie, ses yeux. Je me sens rassuré, je ne suis pas le seul à vouloir partir. Peut-être ne me reste-t-il enfin, qu'à mettre des gants Mappa.
1.Dutot M, Vincent J, Martin-Brisac N, Fabre I, et al. Ocular cytotoxicity evaluation of medical devices such as contact lens solutions and benefits of a rinse step in cleaning procedure. ALTEX. 2013;30(1):41-9.
2. Pinna A, Usai D, Zanetti S, Thomas PA. In Vitro Efficacy of Contact Lens Solutions Against Various Corneal Fungal Isolates. J Ocul Pharmacol Ther. 2013 Apr 25
3. Michel de pracontal.Irène Frachon, le médecin qui découvrit la « pharmaco-délinquance ». Médiapart. 23août 2013.
Fight club de David Fincher, 1999