jeudi 30 avril 2015

J - 115 : Roger Federer, la Diacérine et une pendaison de crémaillère...


L'insoutenable légèreté de l'être, Mylan kundera, 1982

Écrire, penser, raconter......

Jeudi 30 avril, 10H30


Je me suis réveillé en sursaut, à 7h00. Point d’orgue d’une nuit cauchemardesque. Les nuits deviennent cet endroit où l’inconscient virevolte, crie, chante, laissant s’exprimer nos angoisses les plus profondes. Au royaume des songes, les mensonges n’existent pas, les symboles s’animent sous la forme d’un conte, où tous les protagonistes nous paraissent à la fois si familier et étranges à la fois.

Ça y est, « elle » a rencontré quelqu’un d’autres, quoi de plus léger, normal. Comment pourrais-je lui en vouloir ? Si ma rationalité, bienveillante, comprend cela, se réjouissant « presque » à cette idée, mon inconscient à quant lui, raconté cette nuit une tout autre histoire. Dans ce rêve, je devais aller dîner avec des amis et là retrouver avec son « nouveau copain », me sentant sûrement suffisamment détaché à ce moment, pour lui avoir proposé de venir. Déjà installé, à la table du restaurant, une fille à mes coté démarrait la conversation, comme il est d’usage dans toutes ces soirées, où des groupes d’amis introduisent de nouvelles connaissances, pour élargir le cercle amical ou plus. Mais je ne l’écoutais qu’à moitié, la tête ailleurs. Puis mon téléphone se mit à sonner, c’était « lui », me demandant le chemin, ayant du mal à trouver le restaurant. 
Comment mon cerveau, avait-il pu « concevoir », imaginer « sa » voix ? Comment avais-je pu cristalliser le son de "cette" voix ? Tout à fait lucide au moment du rêve, je devenais malade à cet instant précis, n'étant plus que haine et détestation. Le coeur enragé, meurtri, je raccrochais au nez, et c’est à cet à instant, précisément, que je me réveillais.

Je n’irai pas jusqu’à accorder un crédit quelconque au délire freudien, mais reconnaissons là tout de même, la puissance de l’inconscient et les mécanismes d’enfouissement qui y sont rattachés. Face à nos angoisses, nous avons toujours tendance à imaginer le pire, l’effroyable, le pathétique, comme animé par une volonté autodestructrice. Il y a là une forme de masochisme latente à vouloir se faire mal, se tirer vers le bas, les ramifications étant profondes et nécessairement attachées à l’enfance. Mais il n’est pas question d’en parler, l’essentiel étant d’aller vers l’avant.

Aujourd’hui est un grand jour, car c’est un quart de final qui est programmé en ce début d’après-midi. L’an passé, je buttais sur la même marche, dans le même tournois. Et ce sont de nombreuses heures de travail sur moi même, qui permettent d’aborder l’événement sereinement, avec plaisir. Nombreux sont les similitudes entre le tennis et la vie, l’une d’entre elles, étant peut-être la notion de légèreté, de relâchement, et de fluidité. Gagner, perdre, n’a pas vraiment de sens, dans notre infini univers, et nombreux sont ceux qui regrettent amèrement de jouer différemment en compétition officielles et à l’entrainement. 

Quel est ton classement ? L’adversaire est-il mieux classé, etc… sont autant de phrases que j’ai tristement entendu mille fois, de la même façon qu’on nous demande ce que nous faisons dans la vie, notre salaires, et nos objectifs de carrière, à chaque nouvelle rencontre. 
Quid du plaisir, de la légèreté et de la fluidité ? Quand on regarde le maître jouer, ce n’est pas tant son palmarès et ses titres qui nous fascinent, mais sa façon de jouer, poétique, éthérée, presque surnaturelle, au sens étymologique du terme.

Et c’est enfin cela que j’ai compris, sondant mon inconscient jour après jour. Qu’est ce qui nous motive vraiment dans cette vie ? L’appât du gain? des titres ? la gloire ? En ce qu’il me concerne, ce quart de final sera fluide, joyeux, cool, intense, peu importe le résultat. S’en suivra alors ce soir, 20h30, la pendaison de ma crémaillère, entouré d’un paquet d’amis, proches ou moins proches. En amour, au sport, dans la vie, qu’importe le résultat et la réalisation de grandes choses, supposées ou non.
 Ce n’est pas tant la finalité qui compte, qui s’en souviendra, mais plutôt le chemin parcouru, et la façon dont on l’aura réalisé. La projection dans le futur, les fantasmes, sont autant de pièges qui minent notre potentiel, et nous font passer à côté de l’instant. Nous aimerions tous que nos amis, notre famille, l’être aimé, sois « plus ceci, plus cela », qu’il ou elle, se comporte d’une certaine façon, mais c’est oublier « la légèreté de l’être », ce qui est de notre ressort et ce qui ne l’est pas.

C’est le week-end, je ne parlerai pas de médecine, de pharmacie, des choses qui clochent et que j’aimerai changer. Je ne parlerai pas de ce quotidien, où les patients se plaignent de devoir débourser 50 centimes par boite, des atermoiements s’agissant du déremboursement de médicaments sans intérêt - comme la diacérine - alors que 5000 âmes en peine viennent de s’éteindre dans un triste tremblement de terre, nous rappelant le coté éphémère et fabuleux de la vie.
Je retiendrai plutôt l’empathie profonde que j’ai eu pour cette patiente, qui m’expliquait avoir perdu son frère la veille, décédé des suites d’un long cancer. Je me souviens avoir été bienveillant et présent pour elle, tout au long de cette épreuve, assistant au lent déclin de son petit frère. La vie n’est finalement pas un truc énorme, gigantesque. Laissons les « petites gens » de côté, le pathos, les cauchemars, et profitons de ces petits instants, tristes ou joyeux, qui nous rappellent notre humanité, et notre place ici, sur terre, auprès de nos famille, nos amis, auprès de celui ou celle qu’on aime.


Le « moi » d’avant fantasmerait et rêverait de là voir débarquer au beau milieu de la soirée, lâchant tout et nous réunissant dans un grand « boum » allégorique, faisant fi du passé, et des moments passées et difficiles. Le « moi » d’aujourd’hui n’anticipe plus rien, si ce n’est qu’il me faudra concocter quelques petits et grands plats après cette balle de match. Mais qu’importe le résultat, elle sera dans un coin de ma tête.

jeudi 23 avril 2015

J-120 : Garden State, Norlevo, et les requins....



  23 Avril, 3h11

Dans la vie il est des certitudes qui ne durent pas. Je me voyais déjà vivre ma vie à Montréal, vivre au grand air, me frotter à la culture anglo-saxonne et finalement quitter cette bonne vieille France, mais ça c'était "avant".
Il est des jours, des moments, des instants, hors du temps, comme touchés par la grâce, où l'on sait que plus rien ne sera comme avant....

27 Avril, 1h12

Oscar Wilde disait, « seul l’amour peut garder quelqu’un vivant ». (1)


J’ajouterai, que ce n’est pas tant d’être vivant dont il devrait être question, mais de vivre, vivre intensément. 
Tout a été dit, où presque, au sujet de l’amour, depuis Platon et son Banquet, jusqu’à Romeo et Juliette, de Shakespeare. Et pourtant, nous n’avons de cesse que de vouloir en parler. Avant « elle », ces choses-là, me semblaient belles, hypothétiques, romanesques, quasiment de la science-fiction, jusqu’à ce jour où, pour citer Marguerite Duras : « Vous demandez comment le sentiment d’aimer pourrait survenir. Elle vous répond : peut être d’une faille soudaine dans la logique de l’univers. »
C’était une banale journée à l’officine, une de ces journées durant laquelle, le balai incessant des patients ne venaient même pas rompre la monotonie et la torpeur intellectuelle dans laquelle je dormais. Le caquètement insipide, ainsi que la vacuité de la conversation des préparatrices résonnaient en moi, comme une infinie torture moyenâgeuse.

- Dieu que cela pouvait faire mal.

Puis il y eu cet étrange instant, comme hors du temps, durant lequel elle fit sa brève apparition. Tout en se dirigeant vers moi, je sentais mon coeur s’emballer, dans un état de tension que je n’avais jamais connu. Sa seule présence m’avait transporté ailleurs, sans autre explication que l’irrationalité de l’amour. 
Après avoir échangé quelques mots, qui m’avaient semblé ne durer qu’un tout petit instant, elle s’en allait, déjà, me laissant nourrir le mince espoir de la revoir un jour.
Ironie du sort, elle était venue acheter une « pilule du lendemain ». Dans la plus grande tradition rationnelle et cartésienne qui aurait du m’animer, il m’aurait fallu, en toute logique, renoncer à vouloir là revoir, encore moins m’imaginer quoi que ce soit. Et pourtant, j’avais cette certitude, que nous allions nous retrouver, et qu’elle avait été troublée par notre rencontre, de la même façon que je l’avais été. Au diable la logique et la rationalité, cet instant nous avait transporté loin, loin de tout.

Les semaines suivantes avaient eu une saveur particulière, puisque nourrissant le secret espoir de la revoir, sans jamais savoir quand cela se produirait. Il m’en fallait donc me remettre à ses allées et venues. Et quand un matin, elle daignait pointer le bout de son nez, la même alchimie opérait, à ceci près, qu’elle était beaucoup moins spontanée que la première fois. La journée se terminait, je pouvais donc enfin rentrer chez moi, réfléchir et me demander ce que j’étais en train de vivre.
Au fil des semaines, l’euphorie originelle de cette première rencontre, laissait place maintenant à un sentiment mitigé, ambigu, étrange. 

Cette fille, à la fois si familière, chaleureuse, passionnée, soufflait parfois le chaud et le froid, selon le moment, me laissant plus d’une fois complètement désarçonné, désespéré. Je ne comprenais pas ses attitudes, m’ignorant parfois complètement. J’étais en colère de la voir jouer ce petit jeu, méprisant cette attitude artificielle qu’elle adoptait, pour je ne savais qu’elles hypothétiques mystérieuses raisons … 
J’avais envie à ce moment là, de ne plus m’intéresser à elle, trop énervé de la voir se comporter de la sorte, mais c’était plus fort que moi, et j’étais trop attiré par elle, de façon quasiment mystique, animale. Comme deux âmes destinées à s’entrechoquer, s’assembler.

Et puis un jour, cela avait été plus fort que moi, je m’étais mis en quête d’informations là concernant, me rendant compte que nous avions « un ami » en commun sur ce fameux réseau social « Facebook ». Saisissant cette étrange coïncidence, je m’empressais un soir, de lui envoyer un message privé qui ne recevra jamais de réponses, en retour. Mais, à mon plus grand étonnement,  « elle » continuait de venir me voir à la pharmacie, tantôt joviale, tantôt glaciale, ne mentionnant  jamais la réception de ce message. J’étais complètement perdu, noyé dans l’incompréhension la plus totale, à deux doigt de me persuader que je la détestais, plus que je n’étais attiré par elle.

Et puis un jour, c’est elle qui finissait par m’envoyer un petit mot pensant avoir été la première à se jeter à l'eau. Un peu méfiante de nature, elle avait en réalité instauré le blocage de « tous les messages entrants » ne provenant pas strictement de « ses amis ». Elle n'avait donc jamais reçu mon message. Chacun avait essayé de contacter l’autre. 
Et voila, la machine était lancée, nous étions maintenant dans le même univers.

Le soir même nous passions la soirée à nous écrire par messages interposés, laissant les choses avancer petit à petit, goûtant au plaisir simple des mots , apprenant à nous connaître, comme les amoureux l’avaient toujours fait. Je me souviens cet état de grâce. Elle ne m’apparaissait plus distante, ou froide, comme elle avait pu l’être avant. Elle était enfin elle même.

Au fur et à mesure que nous avancions, je pressentais que cette fille serait spéciale, unique. Nous passions donc nos nuits au téléphone, sans pour autant qu’elle daigne accepter une invitation à dîner. Je ne comprenais pas tout à fait sa retenue à l’idée de me voir. Nous étions sur un nuage, comme en dehors du temps et de l’espace, dans une parenthèse, où le son de nos voix résonnait doucement dans la nuit, sans que celui-ci ne puisse se projeter dans le monde réel. Et puis un soir, enfin, je finissais par l’emmener dîner ;  un autre soir, je l’emmenais voir la mer, perchés sur cette grande roue, au dessus du port. Je pouvais lire dans ses yeux, qu’elle irait au bout du monde avec moi, et qu’elle ne voulait personne d’autre. Nous étions tellement vivants.
Au retour, je lui prenais la main, nous parlions encore, et encore, jusqu’à nous endormir tout habillés, l'un à côté de l'autre. Le moment fatidique du premier baiser n'arrivant que bien plus tard. Nous étions vraiment en harmonie.

Mais la vraie vie n’est pas un roman, où les chapitres se déroulent tranquillement. Nous avons tous nos blessures, notre passé, notre vécu, qui expliquent les moments difficiles que nous avons eus. Mais nous nous sommes tirés vers le haut, elle et moi, toujours. Aussi, je dois avouer que c’est elle qui aura terminé de me transformer en homme, elle qui m’aura poussé dans mes retranchements, m’aura obligé à me remettre en question, à avancer, à croire en moi. J’étais à l’agonie sur cette chaise, le regard dans le vide, lorsqu’elle est entrée dans ma vie. Elle aura insufflé un souffle, fait ressortir le meilleur de moi-même, m’aura murmuré que tout est possible.

J’espère de tout mon coeur en avoir fait autant pour elle, l’avoir relevée de la même façon, l’ayant rencontré blessée, meurtrie, effondrée. 
Nous nous sommes mutuellement réparés. Cela ne s’est pas fait sans accrocs, ni larmes. Grandir, se dire les choses, ouvrir les yeux de l’autre ne se fait pas sans mal, ni efforts. Mais nous avons tellement eu de bons moments, que le reste n’est qu’un détail insignifiant. Comment pourrais-je les regretter, quand bien même je souffre terriblement à l’idée de ne plus la voir. Comment oublier toutes les choses du quotidien, ces nuits, ces moments, durant lesquels nous avons refait le monde, conjugués nos vies. Toutes nos disputes ne sont en réalités, et je m’en rends compte maintenant, que l’essence même de la vie d’un couple, comme un processus perpétuel d’amélioration et d’échange, afin d’avancer, se renouveler. L’amour véritable a ce ceci de particulier qu’il ne se satisfait pas des choses moyennes, fades, encore moins fictives. C’est peut-être la différence, le secret des âmes soeurs, qui finissent toujours par se reconnecter l’une auprès de l’autre peu importe les épreuves qu’elles traversent.

Nous étions des épaves avec tout ce que cela implique, nous sommes maintenant des adultes métamorphosés, près à relever le défi de la vie. Elle me manque terriblement, mais je sais, dans mon for intérieur, que c’est la bonne, comme une évidence. J’ai à cet instant le courage de faire ce qu’il me plaît, de me lancer dans un projet qui me tient à coeur et qui donnera sûrement un sens à ma vie. 

Pourquoi pas sauver les requins de l’extermination, aider les gros à mieux manger, bouger, proposer une alternative éducative aux enfants surdoués, fabriquer un « fablab », et j’en passe... Il ne reste plus qu’à organiser cette aventure. C’est donc peut-être cela être un aventurier, oser réaliser ses projets, vivre sa vie, pleinement.

« J’entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde. » a dit paul Eluard. Le quotidien est effectivement difficile après une rupture, où c’est comme une partie de soi que l’on nous arrache. La tentation est grande de sombrer dans la mélancolie, la tristesse. J’imagine qu’il est normal de souffrir quelques temps, histoire que le cerveau retrouve une forme d’équilibre, mais je n’avais pas imaginé que ce serait à ce point difficile. Qu’importe, si « dieu est mort » pour Nietzsche, que reste-il au monde si ce n’est l’amour ? Je retiendrai alors victor Hugo, car : « C’est à peine si l’on ose dire maintenant que deux êtres se sont aimés parce qu’ils se sont regardés. C’est pourtant comme cela qu’on aime et uniquement comme cela. Le reste n’est que le reste, et vient après. » (2)

Notre premier chapitre fut la découverte de ce sentiment, entier, explosif, violent. Je ne doute pas que le second sera celui de la construction. Car, « le couple heureux qui se reconnaît dans l’amour défie l’univers et le temps : il se suffit, il réalise l’absolu. » Simone de Beauvoir. (3)



1. Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray, Stock, 1924

2. Victor Hugo, Les misérables, 1862

3. Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, Gallimard, 1958


Garden State, de Zach Braff, 2005,